jeudi 27 juin 2019
Propos recueillis par A. F.
Mado Gilanton 65 ans, retraitée, présidente de l’association Apaiser et porte-parole d’Espoir (im)patient, collectif de malades défendant le cannabis thérapeutique
« À partir de l’âge de 50 ans, j’ai commencé à avoir des symptômes bizarres : d’abord des décharges électriques quand j’éternuais, puis des fatigues intenses, qui me tombaient dessus brutalement, des douleurs à la nuque, à l’épaule… À l’époque, je pensais que c’était dû à mes nombreux déplacements professionnels. Mais, à 58 ans, après un plan social, j’ai commencé à ressentir des brûlures à la main. Après une IRM, on m’a diagnostiqué une malformation de Chiari (malformation de la base du crâne), qui a causé une très grosse syringomyélie, en clair une cavité à l’intérieur de la moelle épinière, qui casse les fibres de la moelle et modifie nos sensations. On ressent des brûlures alors qu’on n’a rien ; et à l’inverse on ne sent rien quand on se met un fer à repasser chaud sur le bras ! Ce mal provoque aussi des douleurs neuropathiques très fortes, qui, sur l’échelle de la douleur, sont classées entre 9 et 10, sur un maximum de 10. Pour moi, c’est comme sauter dans un champ d’orties. Pour d’autres, marcher sur des cailloux pointus. Je souffre aussi d’allodynie : des douleurs au moindre effleurement de la peau, celui des vêtements, du vent, ou même de l’eau sous la douche.
J’ai été opérée à 59 ans, cela a réglé certains problèmes, comme les décharges électriques. Mais les douleurs, elles, n’avaient pas disparu. Mon entourage me conseillait d’essayer le cannabis, pour me soulager. Au départ, j’étais très réticente. Pour moi, c’était comme une drogue dure, un produit qui allait forcément générer une addiction… J’ai donc résisté, jusqu’au jour où les douleurs sont devenues insupportables. C’était ça ou me jeter par la fenêtre… Ma famille m’avait préparé un joint, qui attendait son heure dans la maison. Je l’ai allumé, j’ai pris deux bouffées, avec un professionnel de santé à mes côtés. Je restais sceptique. Mais, dans le quart d’heure qui a suivi, j’ai ressenti un soulagement total. Rien, aucun médicament, ne m’avait procuré ça. J’ai dormi toute la nuit parfaitement. Sans aucun effet onirique. Et pour la première fois depuis longtemps, je me suis levée le matin sans douleur.
Pourtant, à l’époque, j’avais déjà une ordonnance bien chargée : je prenais un antiépileptique et un antidépresseur, tous deux prescrits contre les douleurs neuropathiques, du Tramadol (antalgique très puissant), et de la morphine en plus si besoin. Mais ces médicaments n’étaient pas efficaces, ou provoquaient des effets secondaires énormes. J’ai ainsi pris 15 kg en six mois, à cause des deux premiers. J’étais assommée, ralentie, sonnée. Je faisais parfois des hallucinations. Sans que la douleur disparaisse. Le cannabis m’a permis d’arrêter ces médicaments petit à petit. Comme je n’aime pas fumer, j’ai cherché une autre forme d’absorption du cannabis et trouvé une recette de tisane sur Internet. Il fallait mettre un gramme de fleur de cannabis (jamais de résine) pour 100 ml. Je faisais ça dans du lait. C’est un ami d’ami qui m’a donné la fleur. Lui l’avait cultivée pour son frère atteint de sclérose en plaques. C’était complètement artisanal. L’effet était plus lent à arriver (environ 1heure, 1 h 30) qu’avec le joint, mais il durait plus longtemps. Une tisane toutes les trois semaines me suffisait. J’ai aussitôt prévenu le centre antidouleur qui me suivait. Ils m’ont dit : « Vous avez raison, continuez. Et rappelez-nous si ça ne va pas. »
La personne qui me fournissait est ensuite partie à l’étranger, et j’ai dû me débrouiller pour en trouver. Mais moi, je ne savais pas où aller. J’ai demandé aux jeunes autour de moi. C’était un peu bizarre… J’avais passé ma vie à leur dire : « Attention, ne tombez pas dans la drogue », et là, c’était moi qui leur demandais d’en trouver. Des fois, on n’y arrive pas et je dois faire sans. Souvent aussi, la qualité varie, et donc les effets aussi. On ne sait pas toujours ce qu’on absorbe, c’est problématique.
L’avis du comité de l’ANSM va dans le bon sens, et on le soutient. Maintenant, il reste à convaincre les responsables politiques. Ça bouge, mais pas partout. À droite, on a souvent tendance à se fixer sur le mot cannabis en oubliant celui de thérapeutique, et à jouer sur les peurs. Je me souviens d’une sénatrice qui pointait tous les effets secondaires possibles du cannabis… Des effets qui concernaient en réalité presque tous les médicaments ! Sauf que là, ça profitait à l’industrie pharmaceutique, donc ça la gênait moins. Qu’en sera-t-il avec ce gouvernement ? On va les pousser à avancer. Notre préoccupation, c’est qu’on ne dise pas aux patients « oui, on donne le feu vert », et qu’il faille encore attendre des années pour obtenir les produits. Il faudra aller vite, être réellement prêt pour le début 2020. De nombreux États, en Europe comme aux États-Unis, l’ont fait. On doit pouvoir profiter de leur expérience. Tout en développant la recherche en France, ce qui est primordial. »
Source : https://www.humanite.fr/rien-aucun-medicament-ne-mavait-procure-un-tel-soulagement-674144