Pionnier de l’utilisation médicale du cannabis, le scientifique israélien est mort le 9 mars à Jérusalem, à l’âge de 92 ans. Entre autres découvertes, il est celui qui a réussi en 1964 à isoler le THC, principe actif du cannabis.
Depuis quelques jours, certains fumeurs de joints dédient leurs exhalaisons à un homme, qui vient de s’éteindre en Israël à l’âge de 92 ans : le docteur Raphael Mechoulam, chimiste et scientifique, chercheur pionnier à l’origine de la découverte du delta-9 tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif du cannabis. Dans ses nombreux travaux liés à la plante, on peut également évoquer l’isolation du CBD, la molécule non psychotrope du chanvre, parmi de nombreux autres cannabinoïdes.
Petit homme à la voix rieuse, il distillait son savoir de par le monde depuis plus de quarante ans, devenu un grand soutien de l’internationale du cannabis. Professeur à l’Ecole de pharmacie de l’Université hébraïque de Jérusalem, c’est au début des années 60 que Raphael Mechoulam se prend d’intérêt pour la plante séculaire et son utilisation médicale. Empruntant un bus pour Rehovot, dans le sud ouest du pays, le jeune Mechoulam emporte dans ses bagages un paquet contenant cinq kilos de cannabis. Hors de question de fumer ce haschisch libanais pour le chimiste : l’échantillon va lui servir à décortiquer la substance pour mettre en avant les propriétés médicales d’une plante devenue le symbole de la génération hippie, de la défonce et la cible toute trouvée de la guerre à la drogue depuis cinquante ans.
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«Le père de la recherche sur le cannabis médical»
Né à Sofia, en Bulgarie, en 1930, Mechoulam immigre avec sa famille en Israël en 1949. Là, il se passionne pour la chimie, décroche son doctorat à l’Institut Weizmann en 1958 et présente sa thèse sur la chimie des stéroïdes. Dès 1960, au sein de l’institut, il concentre ses recherches sur l’isolement, l’élucidation de la structure et la synthèse totale des principaux principes actifs du cannabis. «Depuis 1964, lui et son équipe dominent la recherche sur le cannabis dans le monde. C’est quelqu’un qui a joué un rôle crucial dans la compréhension qui est encore partielle du système endocannabinoïde», un ensemble de récepteurs présents dans le corps humain, rappelle le médecin addictologue Bertrand Lebeau Leibovici.
«Comme médicament, le cannabis a été très utilisé au XIXe siècle mais finalement il a été abandonné bien avant qu’il ne soit interdit dans les conventions internationales ou aux Etats-Unis, parce qu’entre autres difficultés, on était incapable d’isoler son principe actif. Et de ce point de vue, en l’isolant, Mechoulam a joué un rôle crucial dans l’utilisation thérapeutique du cannabis», ajoute le praticien, auteur de Drogues : la longue marche publié en 2022 chez L’Harmattan.
En Israël, les hommages se sont multipliés depuis l’annonce de sa mort par l’Université hébraïque de Jérusalem. «La plupart des connaissances humaines et scientifiques sur le cannabis ont été accumulées grâce au professeur Mechoulam. Il a ouvert la voie à des études révolutionnaires et initié la coopération scientifique entre les chercheurs du monde entier. Mechoulam était un pionnier à l’esprit vif et charismatique», a souligné le 10 mars Asher Cohen, le président de l’Université hébraïque.
Pour Bertrand Rambaud, militant activiste pour la légalisation du cannabis, la mort de Raphael Mechoulam est une grande perte. «J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’un colloque en 2014 à la faculté de médecine de Strasbourg. C’était un homme facile d’accès et ouvert. Pour un fan des Stones, passer la journée avec Mick Jagger c’est le Graal. Pour moi, passer la journée avec Mechoulam a été une des plus belles journées de ma carrière d’activiste militant», rappelle Rambaud. Séropositif depuis trente ans, il consomme pour soulager ses symptômes, mais a été reconnu coupable de détention et usage de produits stupéfiants.
«Père de la recherche sur le cannabis médical», Raphael Mechoulam est celui qui a «mis la locomotive sur les rails» selon Bertrand Rambaud, qui assure que la relève est assurée grâce à tous ceux qui ont travaillé avec lui : «Des gens qui ont la capacité de comprendre le cannabis et ses effets sur les pathologies qui dépassent tout ce qu’on connaît en France», note au passage l’activiste, amer au sujet de l’expérimentation française du cannabis médical commencée en 2021. «Chez nous, l’opinion publique et les médecins sont prêts pour aller plus loin, mais c’est le politique qui continue de bloquer les avancées», déplore-t-il. S’il disait n’avoir jamais touché à un joint – mais testé le space cake – Raphael Mechoulam était aussi un fervent partisan de la légalisation du cannabis médical.