La chercheuse Marie Jauffret-Roustide souligne les limites de la stratégie répressive dans la lutte contre la drogue.
Avec ses opérations «Place nette XXL», le gouvernement reste fidèle à une vision répressive qui guide depuis les années 70 la lutte contre le trafic et la consommation de stupéfiants. Chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et chercheuse au Centre d’étude des mouvements sociaux, Marie Jauffret-Roustide analyse les limites de cette stratégie pour la santé publique.
En quoi la politique française en matière de stupéfiants est-elle guidée par une répression historique des usagers de drogue ?
La loi du 31 décembre 1970 qui statue sur la lutte contre la toxicomanie, la répression du trafic et de l’usage illicite de stupéfiants est ambiguë. Elle considère que les usagers de drogues sont des délinquants et les pénalise, tout en proposant un dispositif de soins adapté. Ce texte voté post-Mai 68 permet de comprendre l’approche moralisante des drogues qui existe encore aujourd’hui. Réprimer les drogues revenait à contrôler la jeunesse contestataire pour certains parlementaires.
En quoi l’objectif de l’Etat d’éradiquer la consommation de stupéfiants semble-t-il peu réalisable ?
A partir du moment où la France décide de mettre en place un régime prohibitionniste, l’Etat considère que c’est la peur de la sanction qui empêche de consommer. Sauf que dans les faits, cela ne se vérifie pas. Si on compare notre situation avec des pays plus tolérants vis-à-vis du cannabis tels que les Pays-Bas, le Portugal ou encore l’Allemagne, on voit que ces pays ont des niveaux de consommation souvent moins élevés que la France, alors qu’ils ont opté pour des politiques moins répressives. Même si l’usage diminue chez les jeunes, la consommation de cannabis en France reste parmi les plus élevées d’Europe, avec 850 000 consommateurs de cannabis quotidiens et 1,3 million de fumeurs réguliers (dix consommations dans le mois). En France, le niveau d’expérimentation du cannabis est deux fois plus élevé que la moyenne des autres pays européens.
Malgré l’inscription d’un volet sanitaire dans la loi de 1970, considérez-vous que la stratégie policière prend aujourd’hui le pas sur la logique de santé publique ?
Quand on pénalise l’usage, on stigmatise les consommateurs et on les éloigne des soins. Avant de dépénaliser l’usage des drogues en 2002, le Portugal était le pays qui avait le taux de mortalité le plus élevé d’Europe chez les usagers de drogues. Aujourd’hui, ils ont le plus bas. Dépénaliser l’usage n’a pas donné lieu à une explosion de la consommation. Cela leur a permis au contraire d’améliorer leur accès au soin.
En France, notre loi est paradoxale. Nous avons l’un des meilleurs modèles au monde en termes d’accès aux traitements de substitution aux opiacés, avec également de l’argent investi dans des structures telles que les centres d’accueil et de soins. Un modèle très médicalisé, mais en retard sur d’autres aspects. Par exemple, quand on observe l’accès aux seringues au niveau européen, on remarque que la France distribue deux fois moins que la quantité nécessaire pour les usagers. Le pays est aussi très en retard sur l’ouverture des futures salles de consommations à moindres risques.
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