La cité marseillaise, l’une des places fortes du trafic de drogue, vit depuis la visite d’Emmanuel Macron au rythme des contrôles policiers devenus routiniers. Si la présence des forces de l’ordre dissuade temporairement les trafiquants, ses habitants restent peu convaincus des effets de l’opération.
Les observateurs réguliers sont formels : le niveau du monticule de gravats, matelas, tôles et autres pneus qui trône depuis des lustres devant l’une des entrées de la Castellane a clairement baissé. Mais il en reste encore, suffisamment pour couvrir la chaussée et espérer un nouveau passage des équipes de nettoyage dépêchées ces derniers jours dans la cité du 15e arrondissement de Marseille. «Place nette», mais pas tout à fait, donc. C’est dans ce grand ensemble dans le nord de la ville, connu pour être l’un des spots historiques du trafic local, que l’Etat a débuté, le 18 mars, sa grande opération nationale de lessivage pour lutter contre la drogue.
Ce jour-là, dans la matinée, près de 80 policiers ont investi la zone fouillée du plafond à la cave, voitures comprises, avec contrôles d’identité pour tout le monde. De l’ordinaire pour les résidents de la cité, régulièrement ciblée dans le cadre des opérations de «pilonnage». Sauf que cette fois, le président Macron s’est invité chez eux par surprise, le lendemain, pour se féliciter de la mission accomplie. «Tout cela va être relayé par un travail permanent», avait alors promis le Président après son bain de foule. Effectivement, cela fait maintenant trois semaines que plusieurs camions de CRS sont postés dans la cité.
«Quand Macron est parti, ça a repris direct»
L’opération policière s’est accompagnée d’un grand nettoyage des murs. Les tags signalant les différents «fours» – les lieux de deal – de la cité ou les prix pratiqués ont tous été effacés. Le grand «Bienvenue» sous lequel Emmanuel Macron avait longuement bavardé, les mythiques «trois singes» devenus, au fil des temps, l’un des emblèmes du quartier, le «menu» du plan stup du Porche, l’un des fours… Tout a été recouvert de peinture grise. Seul l’inaccessible graff Zidane, natif de la cité et héros local, trône encore au sommet d’un bâtiment. «Ils s’en sont pris à la Castellane parce que c’est un nom, un symbole, grince un jeune homme derrière ses lunettes de soleil. A quoi ça sert, tout ça ? S’ils veulent vraiment que le trafic s’arrête, ils n’ont qu’à raser le quartier, en faire une route…»
Depuis les grosses descentes des premiers jours, les contrôles policiers sont devenus plus routiniers. Chaque matin, en arrivant sur place, les troupes fouillent encore quelques appartements et véhicules, sans grand succès. Pourtant, «les trafiquants sont toujours là, assure un gamin cartable au dos. Mais ils se font passer pour des personnes normales… Ils gagnent un peu moins de sous, mais ils vendent quand même. Quand Macron est parti, ça a repris direct.»
Un vieux monsieur soupire à côté. «Ça tue plus les habitants que le trafic, qui existe toujours. Ça enrichit juste un autre quartier, c’est tout. Même si la police occupait toutes les cités, les trafiquants iraient sur la Lune.» (Patrick Gherdoussi/Divergence pour Libération)
L’histoire a d’ailleurs fait grand bruit. Au lendemain de la visite présidentielle, des journalistes de la Provence avaient pu constater sur place que, comme annoncé dans les boucles Telegram du réseau du coin, le trafic avait déjà réintégré la place. L’article s’attardait surtout auprès des habitants, déplorant une nouvelle opération de communication de l’Etat. «Il [le Président, ndlr] est parti et nous, on est toujours là», se désespérait l’un d’eux en une du journal, avec en illustration des jeunes de dos. Colère des cadres de la macronie, les hautes sphères du journal s’excusent publiquement auprès de ses lecteurs pour cette une selon eux «ambiguë», qui aurait pu laisser penser que le journal soutenait le trafic. Dans la foulée, était décidée la mise à pied du directeur de la rédaction, provoquant une grève largement suivie des journalistes dénonçant des «pressions politiques» inacceptables. La réintégration sans sanction du directeur a permis d’apaiser la fronde. Est-ce pour prévenir un nouveau bad buzz que les CRS ont été priés d’occuper la Castellane jour et nuit, jusqu’à nouvel ordre ?
«Ils s’emmerdent et nous contrôlent toute la journée»
Ce vendredi, trois policiers tapotent sur leur cellulaire à l’ombre d’un des porches. Il fait beau, mais la cité est presque vide, à part un groupe de fidèles qui sort de la mosquée voisine après la prière. «Plus personne ne sort, on n’entend plus les motos, souffle un jeune accoudé à une barrière. C’est chacun de son côté.» D’autant qu’à la moindre sortie, c’est le contrôle d’identité assuré. «C’est cinq fois d’affilée dans la journée, et les mêmes policiers en plus, peste le jeune garçon. Ou alors les CRS mettent des amendes aux mamans qui n’ont pas leur contrôle technique. Je ne comprends pas : «Place nette», c’était pas censé être pour elles !» Un vieux monsieur soupire à côté. «Ça tue plus les habitants que le trafic, qui existe toujours. Ça enrichit juste un autre quartier, c’est tout. Même si la police occupait toutes les cités, les trafiquants iraient sur la Lune.»
Un peu plus loin, sur l’artère principale de la cité, le cinquième coup d’œil policier dans une vieille 206 ouverte fait marrer Eddy et son groupe de copains, qui prennent la pause. «Au début ils ont fait de vraies saisies mais là, il n’y a plus rien ! constate l’homme de 20 ans. Alors ils s’emmerdent et nous contrôlent toute la journée. Ils mettent tout le monde dans le même lot. Même eux, ils nous l’ont dit, ils en ont marre d’être là.» «Le problème, c’est que tout le monde s’ennuie, d’un côté comme de l’autre», résume Gharis, un ami d’Eddy. Un CRS fraîchement arrivé de Toulouse s’arrête pour discuter avec eux. «Vos collègues du 93 qui étaient là hier soir, ils parlent vraiment mal, lui rapporte Eddy. Quand Macron était là, tous les flics étaient des poussins. Maintenant qu’il est parti, c’est devenu des coqs. Le soir, faut voir, ils sont plus violents.» C’est vrai qu’en attendant, les réseaux ne peuvent plus occuper le bitume. «Mais quand les policiers vont repartir, ça reprendra et ça sera encore plus que ce que c’était», prédit Eddy. Le CRS ne le contredit pas et reprend sa balade, direction plus loin.
Assis sur un banc d’un petit parc, Ilian et son frère attendent l’ouverture du centre social, posté au cœur de la cité. Ilian, 12 ans, porte sa veste du FC la Castellane. Le Président a signé un autographe sur le logo lorsqu’il est venu. «Sauf que maintenant, à cause de la police, je ne peux pas sortir mon chien parce que je n’ai pas encore la muselière, explique le garçon. S’ils n’avaient pas été là, on serait montés au stade pour le faire courir… Avant, on s’amusait plus. Ils s’occupent plus de nous que des trafiquants.» Ces derniers sont partis depuis longtemps vendre ailleurs, assure un de leur copain en passant. Juste à côté, «en haut», dans une cité voisine, à quelques minutes en voiture. «En haut», pas un CRS en vue. Un peu partout dans cette cité, où les blazes des plans stup s’affichent encore sur les murs, les guetteurs profitent tranquillement du soleil, assis sur leur chaise.
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