Depuis la légalisation du cannabis, la Californie s’emballe pour la médecine alternative option THC. Moins habituées à la fumette, les femmes sont devenues la cible d’un marché en pleine expansion.
« Je pense que l’on devrait commencer avec un peu de mangue et de CBD », annonce Jessica Assaf, carré blond et robe colorée, en accompagnant sa parole d’un plateau de fruits et d’un joint roulé bien serré.
L’instagrameuse-cheffe d’entreprise raconte à ses camarades le lien chimique entre le fruit sucré et la plante « magique », un composant nommé terpène, qui rend le mélange des deux exquis, renforce la sensation de flottement et la rend plus durable – une astuce de « stoneuse » aguerrie, donnée par celle qui a fondé le compte Cannabis Feminist ainsi qu’une entreprise de produits au CBD (nom court du cannabidiol, un relaxant présent dans le cannabis mais non psychoactif).
À ses côtés, une douzaine de femmes consommatrices régulières de cannabis sont réunies pour discuter des effets bénéfiques de cette plante, sur leur corps comme sur leur vie. Diminution du stress, hausse de la libido, fin des insomnies, toutes témoignent d’un changement radical, mis en avant par le slogan et thème de cette rencontre : « Plants not pills » (« Des plantes, pas des médocs »).
Sous le haut patronage du rappeur et grand prêcheur du cannabis Snoop Dogg, cette émission intitulée « Queens of the Stoned Age » (ensuite transformée en podcast) avait pour but de donner la parole aux femmes, souvent exclues de l’univers très masculin de la culture weed.
Si le ton de l’émission se veut branché et détendu, le message passe quand même : le cannabis aide ces femmes à se sentir mieux, dans toutes les facettes de leur quotidien.
Place à prendre
Mannequins, influenceuses, mères de famille ou businesswomen, les femmes consomment de plus en plus de cannabis et représentaient en 2018 environ 40% du marché aux États-Unis.
Chacune avec leur style, elles n’ont plus peur de s’afficher comme consommatrices, sur Instagram ou dans les magazines. Les puristes posent avec un joint, les millennials vapotent, tandis que les boomers sont plutôt adeptes des produits infusés sous forme de bonbons, tisanes ou chocolat.
Le marché du cannabis a de beaux jours devant lui: il continue sa progression en relaxant désormais 15,9% des Américain·es, soit 43,5 millions de personnes.
Des entrepreneuses californiennes ont su développer tous les modes de consommation du cannabis, en alliant santé et détente. Avant leur arrivée dans le secteur, il y a moins de dix ans, la place était à prendre.
Depuis 1996, la consommation de marijuana à des fins médicales était permise en Californie. Son commerce licite se cantonnait à cette seule cause: aider les personnes gravement malades, en les soulageant grâce aux principes actifs de la plante.
Seulement, les marques existantes s’adressaient principalement à une clientèle masculine, déjà familière avec le cannabis. Rien n’était encore prévu pour les femmes, comme des doses adaptées à leur corps et leur morphologie.
C’est pour aider leur amie Jane que Jennifer Chapin et Amanda Jones ont lancé Kikoko il y a sept ans, une marque de tisanes et produits au cannabis microdosés, destinés principalement aux femmes.
« Quand notre amie était malade du cancer, elle devait gérer ses dosages elle-même pour ne pas finir totalement embarquée dans un train fou [« to ride the crazy train », expression américaine, ndlr] », raconte Amanda. « Il y avait un énorme espace vacant pour des produits peu dosés sur le marché, surtout parce que les dispensaires et les marques existantes étaient très masculines », ajoute Jennifer.
Même analyse du côté de Gillian Levy, cofondatrice de Humboldt Apothecary et passionnée de plantes médicinales. Plutôt que de tomber dans de grosses doses, son associée Susan et elle ont voulu renouer avec les connaissances anciennes et « créer une synergie des plantes, en prenant les bienfaits de différents végétaux pour leur vertus communes », dans un but purement thérapeutique. La marque propose un concept inspiré des herboristes d’antan: de petites gouttes à mettre sous la langue.
« Ce qui rassure les gens, c’est qu’on peut prendre des doses très précises », observe Gillian, qui recommande tout de même de commencer avec des produits au CBD avant de passer au THC (la molécule psychoactive du cannabis, qui fait planer).
Empowerment féminin
Gillian, Jennifer et leurs partenaires débarquaient avec un constat criant: au moment de la légalisation du cannabis à usage récréatif en Californie début 2018, le marché (légal comme illicite) était principalement destiné aux hommes. Avec de beaux packagings, qui ne tombent pas dans le girly, ces marques permettent à une clientèle plus réticente aux drogues de sauter le pas.
Finis les dispensaires masculins et bruyants de rap, les produits marketés pour la défonce et la communication façon Tumblr psychédélique des années 2010. La beuh made in Californie –et surtout made in San Francisco– est maintenant présentée dans des écrins façon bijou.
Ici, on s’adresse à la mère de famille californienne branchée, qui se soucie de son bien-être mais aussi de la planète. On fait pousser le cannabis au soleil, sans pesticide, et on le conditionne sans produit chimique.
Avec leurs produits à faible teneur en THC et des visuels plus sophistiqués, ces cheffes d’entreprise se sont engouffrées dans la brèche.
Honnis les cookies plein de gras, de sucre ou de colorants artificiels, la dernière décennie a instauré l’ère du mieux manger. Au rayon des gourmandises contenant du cannabis, tous les types de régimes à la mode sont représentés: keto, vegan, sans gluten, paléo, etc. Et ce ne sont pas les produits qui manquent: du pop-corn au miel de manuka au beurre de cacahuète en passant par les macarons sans gluten ou les bonbons multicolores, l’offre déborde. Mais pour quelle qualité ?
En lançant Mellows en 2015, Stephanie Hua, cuisinière de formation, voulait proposer une nouvelle approche aux douceurs à base de cannabis : « Il y avait un besoin de produits attractifs, délicieux et peu dosés. » Surtout, elle voulait se détacher des sucreries et autres denrées industrielles saturées de sucre et d’additifs.
Avec sa recette de marshmallows faits à la main à San Francisco, elle a séduit une toute nouvelle clientèle. Ses bouchées spéciales sont devenues des cadeaux pour la fête des mères ou un enterrement de vie de jeune fille.
Mais le marché du cannabis au féminin, c’est également une démarche d’empowerment, comme l’indique Jennifer Chapin : « On en avait marre de se faire mansplainer comment utiliser des produits qui vont dans notre vagin » ou qui servent à soulager les douleurs menstruelles. Il fallait donc agir et se lancer.
Même si les femmes sont encore minoritaires dans le business du cannabis, les entreprises qu’elles fondent sont très bien mises en avant, notamment par des sites de vente en ligne eux aussi majoritairement féminins, à l’image de Sava ou de Society Jane, qui commercialisent entre autres des produits destinés à un public féminin sensible aux douleurs menstruelles.
Les plus insistants des hommes sont prévenus: ils ne sont pas les bienvenus dans la fabrique de Kikoko, dont les murs sont couverts d’affiches « No assholes ! » (« Pas de connards ! »). Le message est clair: ici, on ne se laisse plus expliquer comment gérer son utérus.
Démarche de bien-être
Quelle différence entre une femme qui se sert un verre de vin après le travail et celle qui vapote un peu de marijuana en préparant le dîner ? Aucune, vous diront les femmes que nous avons interrogées. Toutes sont consommatrices de leurs propres produits et vantent leurs mérites au quotidien.
Pour certaines, le cannabis permettrait même de ne plus consommer d’alcool et serait une solution pour contrer la crise des opioïdes. D’après le National Institute on Drug Abuse (NIH), 18 millions d’Américain·es auraient fait un mauvais usage d’antidouleurs, d’antidépresseurs ou de stimulants sur ordonnance en 2017, soit plus de 6% de la population âgée de plus de 12 ans.
L’addiction aux opioïdes a entraîné le décès de 47.600 personnes la même année. Or, selon une étude publiée en 2019, la mortalité liée à ces médicaments a chuté de 20% à 35% dans les États ayant légalisé le cannabis.
Pour ces quatre entrepreneuses, comme pour leurs concurrentes sur le marché des produits destinés aux femmes, il ne s’agit pas que de se divertir en consommant de la marijuana: une vraie démarche de bien-être se cache derrière ce business.
Au niveau fédéral, le cannabis est encore considéré comme un psychoactif de catégorie 1. Les décoctions et aliments qui soulagent ne sont donc pas adoubés par la Food and Drug Administration (FDA), ce qui leur permet d’échapper à la mainmise des laboratoires pharmaceutiques. Ces solutions d’origine naturelle sont classées dans la catégorie du bien-être, utilisées pour faire du bien au corps et à l’âme mais pas pour soigner le cancer.
« La douleur et l’anxiété sont des indicateurs d’un dérèglement dans le système. Les composants actifs du cannabis peuvent aider à retrouver un équilibre », note la docteure et naturopathe Lakisha Jenkins, spécialiste du cannabis à usage thérapeutique.
Le cannabis peut-il vraiment diminuer le stress, réduire les douleurs chroniques et menstruelles ? Peut-il également combattre l’insomnie et redonner un coup de boost à la libido ? C’est ce que soutiennent les pro-cannabis à travers le pays : cultivateurs et cultivatrices, commerciaux et commerciales, naturopathes ou même médecins reconnu·es qui brandissent études et analyses à l’appui des bienfaits de la plante.
Antidouleur réputé, celle-ci devient encore plus efficace mixée à d’autres végétaux, selon l’effet que l’on souhaite produire. Ainsi, mélanger le cannabis à de la valériane, de la réglisse ou de la menthe permettra d’aider à combattre l’insomnie.
Cette recette vieille de plusieurs milliers d’années a été remise au goût du jour et se retrouve dans la composition de nombreux produits en vente. Même constat pour les vertus analgésiques du cannabis, démontrées depuis des siècles.
Weed, cycle menstruel et libido
Dans une étude menée par l’université de la santé et des sciences de l’Oregon et publiée en mai 2019, 64% des femmes interrogées ont déclaré avoir déjà été consommatrices de cannabis. Parmi elles, 36% en avaient consommé dans le but de traiter une pathologie, en priorité la dépression et l’anxiété, et dans 16% des cas des maladies gynécologiques.
Cette nouvelle donnée invite à s’intéresser à l’usage du cannabis dans le cadre du cycle menstruel, dont la recherche en médecine commence seulement à explorer les particularités.
La docteure Rebecca Craft, de l’université d’État de Washington, a observé que le corps des femmes serait plus sensible au cannabis à certaines périodes du cycle: les œstrogènes, hormones qui augmentent lors de l’ovulation, permettraient au corps de mieux synthétiser le THC, rendant les femmes 25% plus réceptives à ses effets.
Une autre vertu supposée du cannabis concerne la hausse de la libido. Utiliser du cannabis avant un rapport, «pour la majorité des femmes, rend meilleure l’expérience sexuelle et améliore la libido», avance la docteure Becky Lynn, directrice du Centre de santé sexuelle à l’université de Saint-Louis, dans le Missouri.
De nombreuses femmes stressées ou sujettes au vaginisme témoignent s’être détendues grâce au cannabis, ce qui a augmenté et amélioré leur libido. Là encore, la marijuana a un effet à la fois sur le corps et sur l’esprit.
D’après des études menées par l’Institut national de santé américain, jusqu’à 31% des femmes souffrent du syndrome prémenstruel à tel point qu’il affecte leur vie quotidienne. Cela peut se traduire par des nausées, des douleurs dans le bas du dos ou aux seins, des maux de tête, des crampes, etc.
Les symptômes sont nombreux et varient selon les femmes. Le dénominateur commun reste qu’ils sont la plupart du temps peu ou mal traités. Les femmes doivent se tourner vers des antidouleurs, le plus souvent en automédication, ou des solutions naturelles glanées par-ci par-là, tel le cannabis.
«Les symptômes attribués au syndrome prémenstruel sont tous dus à un déséquilibre hormonal, [et] les principes actifs du cannabis aident à réguler le système endocrinien, qui est l’épicentre de nos hormones», affirme Lakisha Jenkins.
Si le THC et le CBD semblent bien avoir une influence sur les douleurs, en les réduisant et en détendant la patiente, les résultats des différentes études restent très partiels, car ils ne prennent en compte que quelques États seulement.
Il faudra attendre une légalisation au niveau fédéral et des analyses sur plusieurs décennies pour connaître les véritables effets de la plante. Cette dépénalisation pourrait arriver dans les prochaines années.
Certain·es candidat·es à l’élection présidentielle de 2020 soutiennent activement la légalisation du cannabis en bonne et due forme, à l’image d’Elizabeth Warren ou de Bernie Sanders, qui prônent même l’amnistie en faveur des personnes condamnées pour possession de marijuana.
Source : slater.fr