—
Alors que le nouveau comité cannabis formé par l’Agence nationale du médicament vient de voir le jour, les députés se sont largement prononcés en commission mercredi pour l’autorisation du cannabis médical à titre expérimental pour une durée de deux ans.
Un pas de plus vers l’accès au cannabis thérapeutique pour quelque 3 000 patients qui doivent participer à son expérimentation. Au moment où cette phase de test se structure du côté des autorités de santé, le cannabis médical entre à l’Assemblée nationale via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le député de l’Isère (LREM) Olivier Véran, rapporteur du projet de loi, est à l’origine d’un amendement adopté à une très large majorité mercredi soir en commission des affaires sociales. Le texte prévoit que l’expérimentation du cannabis thérapeutique soit prise en charge par la sécu. « Dire non à une expérimentation, alors même qu’elle est approuvée par l’Agence du médicament, aurait dû sacrément se justifier ! J’étais assez confiant que le texte passe, mais je ne m’imaginais pas qu’il n’y aurait aucune voix contre », se félicite Olivier Véran, qui attend sereinement l’examen du texte en seconde lecture la semaine prochaine à l’Assemblée. Neurologue, le député de l’Isère a tiré son intérêt pour le cannabis de ses consultations. « J’avais un patient de 30 ans hospitalisé en neurologie qui ne travaillait plus. Il prenait de la morphine, était sous perfusion d’antalgiques et présentait un risque suicidaire, explique Olivier Véran. Je l’ai revu trois mois plus tard. Il avait arrêté ses traitements et allait reprendre son travail. Pour soulager ses douleurs, il prenait du cannabis. J’ai commencé à sonder mes patients. Ils en consommaient aussi. »
« Il fallait un accompagnement politique »
Sont concernées par l’expérimentation : les douleurs neuropathies réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsies pharmacorésistantes, certains symptômes rebelles en oncologie (vomissements, nausées, anorexie…), les situations palliatives et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central. Les premiers patients expérimentateurs devraient recevoir leur traitement au cours du premier semestre 2020. Le député prévient tout de même que le cannabis n’est pas une «molécule miracle» : « On n’explique pas nécessairement l’effet pharmacologique sur certaines douleurs. Nous n’avons pas encore toutes les clefs de lecture, nous sommes plutôt dans le constat. La demande est telle de la part des patients qu’il fallait un accompagnement politique. »
A lire aussi « Le cannabis me permet de contenir mes douleurs »
En janvier 2019, l’Organisation mondiale de la santé a proposé de déclassifier le cannabis du tableau IV des stupéfiants et donc de reconnaître les fins médicales de la plante. A ce jour, dix-sept pays membres de l’Union européenne, tels que l’Allemagne ou l’Italie, autorisent déjà le cannabis médical sous différentes formes.
En France, un décret daté du 5 juin 2013 a donné, via une autorisation de mise sur le marché, la possibilité d’utiliser des spécialités pharmaceutiques à base de cannabis. Trois médicaments ont été autorisés mais leur accès reste moindre. Indiqué dans le traitement de la sclérose en plaques, le Sativex n’a jamais été commercialisé faute d’accord sur le prix. Il est donc courant que des patients se procurent du cannabis via le marché illégal ou par l’autoproduction. D’autres passent la frontière et se fournissent à l’étranger, grâce à une prescription médicale que les médecins français sont habilités à fournir. Un paradoxe soulevé par le député : « Au-delà des clivages et des positions de chacun sur le cannabis récréatif, on est capable d’avoir un consensus national pour aider les malades. Les mentalités évoluent. » Les produits délivrés en pharmacies seront sous forme d’huiles, de tisanes et de fleurs séchées. Selon les travaux menés par le précédent comité d’experts de l’Agence nationale du médicament (ANSM), entre 300 000 et 1 million de patients pourraient être concernés par la prise de cannabis à visée médicale.
« Cahier des charges »
La loi de financement de la Sécurité sociale ne sera promulguée qu’à la fin de l’année. En attendant, un nouveau comité spécialisé temporaire (CST) s’est mis au travail. Son président, le médecin psychiatre spécialisé en pharmacologie et en addictologie Nicolas Authier, a salué « un amendement en adéquation avec les décisions prises cet été par les autorités de santé et le ministère». Pour lui, cette annonce « inscrit durablement le projet dans le temps et la loi ». Réuni mercredi à l’Agence du médicament, le CST, composé de professionnels de santé mais aussi de patients, a six mois pour sélectionner les médicaments qui seront utilisés pendant l’expérimentation. « L’expérimentation va s’assurer que les réponses aux appels d’offres des producteurs soient conformes au cahier des charges, reconnaît Nicolas Authier. Pour officialiser les traitements et permettre aux patients soulagés d’avoir la garantie d’être traités avec le même médicament. Ces choix pourront peut-être guider de futurs promoteurs d’une filière française. »
Le contenu des formations des professionnels de santé reste à déterminer : « Ce ne sera pas un apprentissage de référence sur le cannabis médical car on ne peut pas demander aux professionnels de santé de suivre 20 heures de formation, au risque de les décourager », constate le président du CST, qui rappelle l’importance de mettre en place un registre de collecte des données des patients. Ces derniers, qui représentent 20% des membres du nouveau comité, seront chargés d’informer le public sur ce qu’est le cannabis thérapeutique et en quoi il est un médicament. « Je vais essayer de participer au programme de formation, annonce le député Olivier Véran. Si je suis formé, je serai habilité à en prescrire. Ce serait un beau symbole. »
Soource : Libération.fr