Illustration: Philippe Pruvot devant le tribunal de Coutances, mercredi. (Louise Quignon /Hans Lucas pour Libération)
Poursuivi notamment pour usage, importation et détention de cannabis, ainsi que pour exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, Philippe Pruvot comparaissait mercredi devant le tribunal de Coutances. Atteint de fibromyalgie, il soignait sa maladie et ses proches en fabriquant des gélules.
Ils sont serrés l’un contre l’autre sur le banc. L’audience de Philippe a pris du retard. Pour quelques minutes encore, c’est un jeune homme à la barre. Incarcéré à la maison d’arrêt du coin, accusé de s’être servi de sa compagne au parloir pour glisser un bout de shit derrière les murs, vite relaxé. En ce mercredi d’automne, la petite salle du palais de justice de Coutances (Manche) est quasi vide. A l’entrée, le policier en faction liste à bas mots les affaires judiciaires du moment. «Beaucoup de stupéfiants.»
De l’autre côté de la salle, le visage d’Anne Mary-Pruvot est fermé derrière son carré blond. L’élégante femme de 74 ans serre un mouchoir dans sa main. Appelé, son fils Philippe, 51 ans, se tient debout face aux juges. De cannabis aussi il est question avec lui, mais c’est une tout autre histoire. Sous son faible poids, ses jambes tanguent. Philippe souffre d’une fibromyalgie diagnostiquée en 1979. Et depuis vingt ans, son sang est infecté après avoir été trop longtemps exposé au styrène, un liquide chimique toxique, alors lorsqu’il travaillait comme décorateur d’intérieur. Alors, depuis des années, l’homme soigne ses douleurs avec du cannabis.
Pendant longtemps, il a fabriqué des gélules de 0,4mg, en moyenne chargées à 0,1mg de THC et le reste d’huile de pépin de raisin. Il confectionnait également de l’huile de cannabis «pour aider aussi des proches, des amis, des gens qui souffrent», dit-il. Aujourd’hui, Philippe est poursuivi pour usage, importation, détention, transport de cannabis et pour avoir principalement conçu des gélules et des huiles à base de la plante pour un usage médical. Il lui est également reproché l’exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, la distribution de médicaments non autorisés. Récidiviste car déjà attrapé pour possession et usage de cannabis, il risque vingt ans de prison.
Le chien renifleur était perdu
Voilà plus de trois ans que Philippe et Anne attendent ce jour. Un «calvaire» qui a débuté par une visite impromptue au domicile d’Anne, à Sainte-Cécile (Manche), le matin du 28 juin 2019. Philippe attend un colis venant de Suisse : une entreprise helvète avec qui il collabore doit lui envoyer 40g de «bio masse», comprendre des déchets de cannabis, pour analyse en vue de travailler pour l’entreprise. Problème : le paquet que le drôle de facteur tient entre les mains contient 2kg affichant un taux de 0,57 % de THC. Légal en Suisse, trop élevé en France. A l’époque, le taux de THC autorisé est de 0,2 % en France. Il est depuis fin 2021 fixé à 0,3 %. A la seconde où Philippe saisit le paquet pour vérifier le destinataire, une trentaine de gendarmes et douaniers interviennent, avec chiens renifleurs, «mitraillettes au poing comme s’ils recherchaient un terroriste».
Le lotissement est bouclé et la maison perquisitionnée pendant six heures. Les agents saisissent plus de 600g d’herbe, sept plants en floraison ou encore de l’huile chargée en THC (delta-9 tétrahydrocannabinol), le principe actif du cannabis, et en CBD (cannabidiol), molécule non psychotrope de la plante. Le chien renifleur est «perdu». «Il ne pouvait rien marquer, il sentait du cannabis partout», se remémore l’homme aux cheveux gris. Dans la buanderie, Philippe dévoile aux gendarmes son matériel avec lequel il confectionne ses produits. Le fruit de milliers d’heures passées à étudier les cannabinoïdes et leur médecine : «Ils sont tombés sur mes extracteurs, mes ballons, mon laboratoire. J’ai vu leur tête changer direct. Ils m’ont demandé si je faisais de la meth», retrace Philippe. Emmené en garde à vue, il enchaîne les interrogatoires : «Pendant les dix premières heures, ils m’ont traité comme la pire des saloperies.»
Il reconnaît être consommateur, explique sa maladie, ses recherches et se défend d’être un trafiquant de drogues. Aux gendarmes, il détaille comment il manie le cannabis pour se soigner, lui et d’autres personnes. «Je leur faisais confiance. Ils me tutoyaient, me parlaient comme un ami», se souvient l’homme. Après «avoir harcelé pendant des heures» la gendarmerie qui «martelait que M. Pruvot ne voulait pas prendre d’avocat», la pénaliste Ingrid Metton parvient à lui venir en aide. Il sort finalement au bout de quatre jours de garde à vue et évite de peu la détention provisoire. Placé sous contrôle judiciaire, il est dans l’obligation de voir un addictologue jusqu’à son procès.
«La maladie n’a pas de frontière»
Emmitouflée dans son manteau à motif léopard, Anne se frictionne les mains. Elle sanglote en silence derrière ses lunettes. A la barre, Philippe se justifie, explique qu’il n’est pas un trafiquant et déballe son expertise du chanvre et de ses propriétés. Il raconte sa jeunesse. Hyperactif avec des troubles alimentaires. Il commence à consommer du cannabis de temps en temps de manière récréative. C’est un voyage à Amsterdam à 18 ans qui marque le début réel de son intérêt pour la plante. Il y rencontre un homme atteint de sclérose en plaques, qui lui révèle les nombreuses propriétés du cannabis et son utilisation thérapeutique. Ça intéresse Philippe. Consommer du cannabis non pas pour planer, mais pour l’automédication. A son retour, il en parle avec ses parents, qui n’autorisent qu’une chose : qu’il cultive son jardin. «C’était soit l’autoculture, soit je le laissais aller dans les cités, acheter et fumer de la merde, balaie sa mère. Son père s’est assuré qu’il fasse pousser sa plante à la maison, sans rien ajouter dedans, et bien suivre ce qu’il consommait.»
Au président, Philippe décortique la vie de sa famille, brisée par la maladie. Il y a quinze ans, sa sœur, mère de trois enfants, meurt à 39 ans d’un cancer du cerveau. Un décès qui s’ajoute à celui de son oncle d’un cancer du pancréas, et de ses grands-parents d’un cancer de la gorge. En 2012, c’est son père qui, après avoir vaincu une première fois une tumeur, «abandonne et se laisse mourir». Alors, lorsque en 2016, les médecins détectent chez Anne un lymphome dans la gorge et une tumeur sur le rein, Philippe déménage à Sainte-Cécile pour s’occuper «nuit et jour» de sa mère.
La troisième chimiothérapie approchant, les forces d’Anne diminuent. Philippe se souvient. «Elle n’avait pas mangé depuis deux mois. Je n’ai plus de famille ils sont tous morts d’un cancer, j’ai pris le taureau par les cornes, je lui ai donné un peu d’huile. Une heure après, elle m’a demandé à manger. Pour nous c’était une victoire. A chaque gélule prise, elle arrivait à s’alimenter. Le THC lui enlevait ses nausées et lui redonnait de l’appétit. Sans énergie, se battre contre la maladie est impossible, dit le fils en jetant un regard vers sa mère prostrée.
La maladie n’a pas de frontière. Elle a décimé ma famille. Pourquoi créer une frontière pour un traitement alors que si on fait 400 bornes pour aller en Belgique ou en Espagne, on peut être aidé ?»
«Le temps des malades n’est pas le temps de la justice»
Petit à petit, Philippe Pruvot perfectionne ses équipements et son «médicament par fonction», comme le qualifie l’experte de l’agence régionale de santé dans son rapport. La procureure de la République s’interroge : «C’est la troisième fois que M. Pruvot est convoqué pour des infractions liées aux stupéfiants. Qu’est ce qui pourrait l’arrêter ?
Tout au cours de la procédure, il a reconnu les faits et revendiqué les bienfaits du cannabis. Qui n’est pas légal. Et monsieur n’a aucune compétence pour prescrire des médicaments. On entend son souhait qu’il aurait aimé porter la blouse blanche, or il n’a aucun diplôme, aucune formation dans le domaine de la médecine.»
Avec de faibles doses de cannabis, il aide des proches et «son nom tourne dans le milieu des maladies rares», rappelle Ingrid Metton, qui pointe dans sa plaidoirie «la pharmacopée incomplète de la France» et rappelle que «le cannabis est prohibé depuis 1950 alors que la première preuve de ses bienfaits thérapeutiques remonte à 3 000 ans avant Jésus Christ».
«Vous dites que M. Pruvot n’est pas médecin et donc qu’il ne peut pas faire de prescriptions. Or en réalité, personne ne peut prescrire du cannabis. Les médecins ne font que renvoyer les patients vers des gens comme M. Pruvot, souligne l’avocate. Le temps des malades n’est pas le temps de la justice.»
Parkinson, épilepsie, cancer, scléroses en plaques. Jusqu’à son interpellation, près de soixante personnes en souffrance font appel à lui, dont la mère d’un enfant de 10 ans en fin de vie, pesant tout juste 10 kg. «Après la première goutte de cannabis, son fils a commencé à aller mieux. J’ai coupé les ponts avec tout le monde depuis le moment de mon arrestation, mais je sais qu’il a réussi à intégrer l’expérimentation du cannabis médical en France», avance Philippe face aux juges qui le questionnent sur son activité. Jamais «un salaire de versé», pointe-t-il, lui qui «vivotait» grâce à son site de vente en ligne de produits de vapotage. Sa gélule de cannabis, il l’offrait ou la vendait à 20 centimes, de quoi rentrer dans ses frais.
A l’issue de l’audience, la procureure requiert une peine de trois ans de prison dont un an de sursis probatoire sur une période de deux ans, l’interdiction d’exercer une activité paramédicale pour une durée de cinq ans et l’obligation d’indemniser les «victimes», comprendre les malades approvisionnés en gélules ou huiles par Philippe Pruvot. Aucun ne s’est constitué partie civile. Ni n’est venu à la barre, que ce soit pour accabler ou le soutenir. «On en a bien contacté, mais tous avaient peur de venir témoigner. Ces personnes continuent d’utiliser du cannabis», pointe l’avocate. La décision du tribunal est attendue pour le 14 décembre.