Atteint de fibromyalgie et soignant sa maladie et sa famille, Philippe Pruvot était poursuivi pour usage, importation et détention de chanvre, ainsi que pour exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. Il devra porter un bracelet électronique pendant un an.
Coupable d’infraction à la législation sur les stupéfiants. C’est ainsi que le tribunal de Coutances (Manche) a choisi de juger Philippe Pruvot, 51 ans, atteint depuis des années d’une fibromyalgie, maladie qui provoque de vives douleurs dans le corps et les articulations. Coupable de s’être soigné avec du cannabis pour moins souffrir, et d’avoir aidé des proches et des connaissances en confectionnant des huiles de cannabis et des gélules à base de la plante. Les juges l’ont condamné, mercredi, à dix-huit mois de prison avec sursis et à douze mois de port d’un bracelet électronique, ainsi qu’à l’obligation de recevoir des soins et de payer une amende de 1 500 euros aux douanes.
Une peine un peu moins lourde que les réquisitions de la procureure, qui demandait trois ans de prison dont un an de sursis probatoire sur une période de deux ans et l’obligation d’indemniser les «victimes», comprendre les malades aidés par Philippe Pruvot. «Tout ce qui a été saisi chez lui sera confisqué», a commenté mercredi son avocate Ingrid Metton, spécialiste dans les dossiers liés au cannabis, regrettant un jugement fait sous le prisme de la loi sur les stupéfiants. Une semaine plus tôt, il s’était maintes fois justifié à la barre du tribunal de Coutances de ne pas être un trafiquant et de n’avoir jamais développé son activité pour verser dans le cannabis récréatif.
«Me prendre ça, c’est dur»
Pour Philippe Pruvot, «tout s’est écroulé» en quelques secondes. «Je m’attendais à du sursis, qu’ils allaient comprendre que ça ne servait à rien de me punir. C’est la première fois que je vais porter un bracelet. J’avais prévu de reprendre une vie normale», explique l’homme qui espérait reprendre un job de vendeur dans un skateshop à Bourges (Cher) après en avoir été licencié il y a quelques mois «à cause de l’inflation et de la crise». «Quarante-deux mois de contrôle judiciaire, sans louper un rendez-vous ni faire de problème. Me prendre ça, c’est dur, estime-t-il. Peut-être que si l’affaire s’était tenue à Paris, le jugement aurait été plus rapide, les juges plus ouverts sur le cannabis médical et le verdict moins sévère.» Il ne sait pas encore s’il fera appel de la décision.
Enfant hyperactif avec des troubles alimentaires, son intérêt pour le cannabis remonte à la rencontre un homme atteint de sclérose en plaques, lors d’un voyage à Amsterdam, alors qu’il a 18 ans. Un temps décorateur, il est exposé au styrène, un liquide toxique, qui a infecté son sang il y a une vingtaine d’années. Il commence ainsi à consommer du cannabis non pas pour planer, mais pour mieux supporter les douleurs. Philippe Pruvot manipule la plante pendant des années et met au point des systèmes d’extraction permettant de confectionner huiles et gélules. Petit à petit, il commence à aider ses proches, avant d’assister d’autres personnes.
«La peur de venir témoigner»
Face au tribunal, il a longtemps décortiqué la vie de sa famille, déchirée par les cancers. Il y a quinze ans, sa sœur, mère de trois enfants, meurt à 39 ans d’une tumeur au cerveau. Un décès qui s’ajoute à celui de son oncle, d’un cancer du pancréas, et de ses grands-parents d’un cancer de la gorge. En 2012, son père «se laisse mourir» après avoir vaincu une tumeur. En 2016, c’est Anne, sa mère, présente au tribunal lors de l’audience, chez qui on détecte un lymphome dans la gorge et une tumeur sur le rein. Ses forces diminuent «à vue d’œil» et à l’aube de sa troisième chimiothérapie, elle cesse de s’alimenter. Alors Philippe Pruvot lui donne un peu d’huile et sa mère «vide le frigo» après deux mois sans manger. «A chaque gélule prise, elle arrivait à s’alimenter. Le THC [tétrahydrocannabinol, la molécule psychotrope du cannabis, ndlr] lui enlevait ses nausées et lui redonnait de l’appétit. Sans énergie, se battre contre la maladie est impossible», a-t-il détaillé face aux juges.
Mais l’homme n’a pas fait qu’aider sa famille. Près de soixante personnes lui demandent gélules de cannabis ou huile. Souffrant pêle-mêle de Parkinson, de crises d’épilepsie, de cancers ou de maladies rares, ils lui achètent pour une poignée de centimes ses «médicaments par fonction», comme les qualifie l’experte de l’agence régionale de santé dans son rapport. Aucun d’entre eux ne s’est constitué partie civile. Ni ne s’est présenté à la barre pour l’accabler ou le soutenir. Dans sa plaidoirie, son avocate Ingrid Metton a pointé «la peur de venir témoigner», soulignant qu’une grande majorité d’entre eux se soignent toujours avec du cannabis.
Amélioration de la qualité de vie
Tout aurait pu continuer ainsi pour Philippe sans la visite le 28 juin 2019 des douanes et des gendarmes au domicile de sa mère malade, chez qui il loge. Une entreprise helvète avec qui il collaborait doit lui envoyer 40 g de «bio masse», comprendre des déchets de cannabis, pour analyse en vue de travailler comme expert pour la société. Mais le paquet que lui présente ce matin-là l’agent des douanes françaises contient 2 kg et affiche un taux de 0,57 % de THC. Légal en Suisse, pas en France. A l’époque, son niveau autorisé est de 0,2 % en France. Il a été relevé à 0,3 % depuis un arrêté gouvernemental publié fin 2021. Pendant six heures, la maison est perquisitionnée. Les agents saisissent plus de 600 g d’herbe, sept plants en floraison, de l’huile, des gélules. Au sous-sol, ils trouvent son matériel. Le fruit de milliers d’heures passées à étudier les cannabinoïdes et leur médecine.
Son savoir en matière de chanvre, Philippe l’a conservé. Il suit de près l’avenir du cannabis médical en France. Depuis mars 2020, plus de 2 000 patients bénéficient de l’expérimentation du cannabis thérapeutique. Cinq indications pour son utilisation ont été retenues dont les douleurs neuropathiques réfractaires, chez des patients avec des cancers rebelles aux traitements en oncologie ou encore des personnes souffrant de la sclérose en plaques. Depuis, 70 % des malades ont mis en évidence une amélioration de leur qualité de vie. Malgré les résultats positifs, le gouvernement a souhaité prolonger d’un an la phase de test. «J’ai hâte que l’expérimentation se termine et que la France généralise enfin l’accès au cannabis pour les malades, espère Philippe Pruvot. Je pourrai intégrer un programme et être soigné.»