Deux agents pénitentiaires ont été tués, mardi 14 mai, dans l’Eure, durant l’attaque d’un fourgon cellulaire. Le même jour, à Paris, le Sénat décrivait une France “submergée” par les trafiquants de drogue. Cette journée a révélé les faiblesses de l’État, estime la presse internationale.
C’était “un mardi noir dans le département de l’Eure”, écrit La Libre, à Bruxelles. “Une opération montée comme un acte de guerre” a provoqué “une consternation unanime” dans tout le pays, observe La Vanguardia, de Barcelone. Tandis qu’à Munich la Süddeutsche Zeitung estime que “la violence de l’attaque ébranle les Français, et cette généralisation n’est, en l’occurrence, pas exagérée”.
La presse étrangère rend largement compte, mercredi 15 mai, de l’attaque à l’arme lourde d’un fourgon pénitentiaire survenue la veille dans l’Eure. Deux agents ont été tués, et trois autres blessés, avec un pronostic vital encore engagé pour l’un d’entre eux. Le prisonnier qui s’est évadé au cours de l’assaut, Mohamed Amra, connu notamment pour des faits de trafic de stupéfiants, est toujours activement recherché.
Des “moyens considérables” et “sans précédent” ont été mobilisés ce 15 mai, selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Du côté des prisons, des organisations syndicales ont appelé à une “journée ‘prisons mortes’” en signe de “soutien” aux fonctionnaires tués. Ils ont observé une minute de silence à 11 heures, l’heure de l’attaque. Les conditions dans lesquelles se déroulent les transferts des détenus seront certainement au cœur des débats dans les prochains jours.
“Les barons de la drogue doivent bien rigoler”
L’événement intéresse fortement les médias internationaux. Le degré extraordinaire de sa violence interpelle, tout comme sa portée pour l’État. “Signe de la gravité de l’affaire, l’enquête a été confiée à une unité nationale spécialisée [l’Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO)]”, relève, aux États-Unis, The New York Times.
Les images filmées par la vidéosurveillance ont fait le tour des télévisions et des réseaux sociaux. “Alors que la France s’efforce, à quelques semaines des Jeux olympiques, de donner l’image d’un pays où règne l’ordre, ces images d’une grande violence, prises sur l’autoroute reliant Paris à la Normandie, sont un coup terrible”, note le quotidien américain.
Au niveau politique, le moment est plus que “délicat”, écrivent de nombreux titres. Depuis des mois, Emmanuel Macron est en campagne contre le trafic de drogue, souligne The Daily Telegraph, à Londres. De Marseille à la Guyane, le président avait annoncé des opérations antidrogue “Place nette XXL”, “qui devaient plonger dans la terreur même les plus impitoyables des barons de la drogue”. Aujourd’hui, il semble, titre le quotidien, que “les barons de la drogue doivent bien rigoler face à un plan antidrogue jugé ‘famélique’”.
Car tel est le mot qu’emploie la commission d’enquête du Sénat sur l’état du narcotrafic en France, dans des conclusions rendues publiques également le 14 mai. “Comme si les symboles manquaient encore, cet assassinat atroce est survenu le jour où une commission sénatoriale rendait ses conclusions : la France est en train de perdre la guerre contre le narcotrafic, au nez et à la barbe d’Emmanuel Macron. Une lecture qui a de quoi faire frémir.”
Dressant le portrait d’un pays submergé par ce marché criminel, les sénateurs demandent une réaction forte de l’État, et notamment, relève le New York Times, “la création d’une agence équivalente à la Drug Enforcement Administration qui existe aux États-Unis”. Il faut aussi agir sur tout le territoire. Le trafic et la violence ne sont pas réservés aux banlieues.
“Le fléau de la drogue dans tous les recoins du pays”
L’analyse est vivement appuyée par le correspondant de The Spectator, magazine conservateur londonien : “Le fléau de la drogue et les violences qu’il charrie se sont insinués dans tous les recoins du pays, et jusque dans ce coin tranquille de Bourgogne où je vis.” Dépeignant un pays profondément divisé, Gavin Mortimer attribue la responsabilité de cet état de fait au chef de l’État : “Deux France sont apparues depuis l’arrivée de Macron au pouvoir.”
“Dans l’une, la France d’une petite minorité, l’économie est prospère, et les investisseurs étrangers se battent pour venir y déverser leur argent. C’est la France des Jeux olympiques, du Festival de Cannes… Mais la majorité des Français vivent dans un autre pays, un pays où depuis sept ans le niveau de vie est en chute libre et où c’est la criminalité qui prospère.” Voilà ce que révèlent en partie l’acte de violence de mardi et le rapport des sénateurs, estime le journaliste.
Le gouvernement devra s’attendre à des critiques de cet ordre, analyse également la Süddeutsche Zeitung. Pour le quotidien bavarois, “l’événement intervient à un très mauvais moment politiquement parlant : peu avant les élections européennes du 9 juin”.
Mais il n’y a aucun doute sur les conséquences politiques possibles, selon la Süddeutsche Zeitung : “L’extrême droite, qui est clairement en tête dans les sondages, reproche souvent au camp d’Emmanuel Macron de ne pas contrôler la sécurité du pays. Ces propos sont exagérés en ce qui concerne la présente attaque, mais n’en auront pas moins des conséquences politiques.”
Carolin Lohrenz
Source courrierinternational.com
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