Le 13 février 2025, le député François Jolivet a déposé une proposition de loi (PPL) « visant à protéger les Français des ravages de la drogue« . Sous ce titre alarmiste, digne d’une croisade pour l’ordre moral, se cache une offensive répressive de plus contre les usagers de stupéfiants, présentés comme les boucs émissaires du trafic de drogues.
Cette PPL, bien que ne reprenant pas explicitement les nouveaux éléments de langage* (très en vogue chez les prohibitionnistes ces deux dernières années), n’en reste pas moins clairement inspirée. On y retrouve en filigrane cette rhétorique culpabilisante qui désigne les consommateurs comme les principaux responsables des trafics, tout en masquant les véritables causes structurelles de ce phénomène.
➡️ Mensonge politique et désinformation :
Le texte affirme que « la consommation de stupéfiants est un véritable fléau pour la santé publique ». Cette affirmation est au mieux une exagération, au pire une contre-vérité pure et simple. Certes, l’usage de stupéfiants peut être une conduite à risques, mais parler de « fléau » est une simplification caricaturale. Les études sur le coût social des drogues montrent clairement que l’alcool et le tabac sont de loin les substances les plus coûteuses pour la collectivité, tant en termes de santé que de vies humaines perdues. En France, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), les décès liés à l’usage de tabac et d’alcool représentent chaque année des dizaines de milliers de vies perdues, tandis que ceux imputables aux drogues illicites sont infiniment moins nombreux.
➡️ Chasse aux sorcières, répression renforcée et atteinte aux libertés individuelles :
Cette proposition de loi propose des mesures répressives inédites, avec l’extension des dépistages de stupéfiants aux lieux publics, des amendes forfaitaires délictuelles (AFD) plus lourdes, et la suppression des réductions de peine pour paiement rapide. Si les tests salivaires sont déjà en vigueur, ils restent largement critiqués pour leur incapacité à évaluer l’aptitude réelle au moment du contrôle, ne mesurant que la présence de traces métaboliques détectables bien après que tout effet psychotrope ait disparu. Cette approche répressive, en multipliant les sanctions et les contrôles, vise à instaurer un climat de peur et de répression permanente, sans pour autant traiter les causes réelles des usages de drogues ni proposer des solutions préventives et éducatives.
En plus de cette pression répressive accrue, la PPL prévoit des dispositifs liberticides comme la possibilité de procéder à des dépistages systématiques dans tous les lieux publics, une mesure qui rappelle dangereusement les contrôles arbitraires et intrusifs, contraires à l’esprit des libertés républicaines. Cette approche réduit les citoyens à des suspects potentiels et banalise des pratiques de surveillance massive, en contradiction avec les principes fondamentaux de la démocratie.
➡️ Les consommateurs : coupables par défaut ?
En présentant les usagers comme responsables des trafics, cette PPL passe à côté d’une vérité évidente : c’est la prohibition elle-même qui crée les conditions du marché noir. Ce ne sont pas les consommateurs qui produisent, importent et distribuent les substances. La stigmatisation des usagers ne résoudra pas le problème du trafic, bien au contraire, elle le renforce en les poussant dans l’ombre, loin des structures de soin et de prévention. Cette logique répressive, en criminalisant les usagers, perpétue un cercle vicieux de clandestinité, de précarité et d’exclusion, avec des conséquences dévastatrices pour la santé publique et la cohésion sociale.
➡️ Une vision archaïque et inefficace de la lutte contre les drogues :
Alors que de nombreux pays expérimentent des approches plus pragmatiques, incluant la dépénalisation et la régulation, la France persiste à criminaliser les usagers, sacrifiant des vies et des ressources précieuses dans une guerre perdue d’avance. Le Portugal, par exemple, a dépénalisé l’usage de toutes les drogues en 2001, avec des résultats probants en termes de réduction des overdoses, des infections au VIH et des incarcérations liées aux drogues. À l’heure où l’urgence est de repenser complètement la politique des drogues, cette proposition de loi nous renvoie des décennies en arrière.
➡️ Les contradictions d’une PPL répressive :
En multipliant les mesures répressives, cette PPL ignore délibérément les constats des professionnels de santé et des acteurs de terrain, qui rappellent que la criminalisation des usagers aggrave les inégalités et entrave l’accès aux soins. Cette approche punit les plus précaires, sans s’attaquer aux véritables moteurs des trafics. Loin de renforcer la cohésion nationale, cette politique divise et stigmatise, en ignorant les réalités sociales et économiques.
Pour le CIRC, cette PPL n’est rien d’autre qu’un écran de fumée. Nous réclamons une réforme réelle et responsable, basée sur la réduction des risques, la prévention, et le respect des libertés individuelles. C’est en sortant du fantasme prohibitionniste que nous pourrons enfin protéger véritablement la société des ravages des politiques répressives.
*: Le CIRC juge qu’il est crucial de souligner l’intrusion délibérée du terme « narcotrafic » dans le discours public. Ce mot, dont l’usage était historiquement marginal en France, a été imposé récemment comme un outil de propagande, notamment par des figures politiques comme le sénateur Retailleau, avant qu’il devienne Ministre de l’intérieur, qui en a fait un élément central de sa rhétorique sécuritaire depuis octobre 2023. Ce terme, évoquant les cartels sud-américains et alimenté par l’imaginaire fictionnel, sert à dramatiser et simplifier à outrance la réalité du trafic de stupéfiants, tout en renforçant les préjugés contre les consommateurs. En remplaçant les termes plus précis et juridiquement corrects comme « trafic de stupéfiants » par ce néologisme anxiogène, il permet de justifier des politiques répressives et stigmatisantes, créant un écran de fumée qui masque les véritables responsabilités dans l’échec des stratégies de lutte contre les drogues. Et comme pour tout terme chargé politiquement, il a généré son cortège d’expressions dérivées tout aussi anxiogènes : « narcoracailles » pour désigner les petits délinquants, « narcoterrorisme » pour amalgamer trafiquants et organisations violentes, « narcobanditisme » pour criminaliser de manière floue tout réseau informel, et même « narco-enclaves » pour désigner des quartiers stigmatisés. Autant de termes qui saturent le débat public et renforcent l’image d’une société menacée, créant une panique morale parfaitement adaptée aux récits sécuritaires. Les parlementaires se plaisent à jongler avec les mots, et ces titres alambiqués qu’ils produisent sont docilement repris par des médias plus soucieux de répercuter que de vérifier. Ensemble, ils ne transmettent pas des faits, mais façonnent l’opinion, délaissant la réalité au profit d’un narratif simplifié et sensationnaliste.
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