Alors que la France a récemment lancé son expérimentation du cannabis médical, aux Etats-Unis, de jeunes pousses mobilisant les psychédéliques à des fins thérapeutiques remportent les faveurs de Wall Street et des investisseurs californiens. Mais, les lourdes régulations qui pèsent sur ces substances pourraient toutefois constituer un frein à leur adoption.
Mercredi 19 mai 2021
Guillaume Renouard, à San Francisco
Le LSD est-il en train de passer du statut de drogue hallucinogène pour hippie nostalgique de Woodstock à celui de substance miracle et lucrative? Le 27 avril dernier, MindMed (lien : https://finance.yahoo.com/news/mindmed-commence-trading-nasdaq-113000089.html), une jeune pousse des biotechnologies, qui explore l’usage des psychédéliques à des fins thérapeutiques, est entrée au Nasdaq, devenant la première entreprise du genre à rejoindre la prestigieuse bourse américaine. La startup effectue plusieurs études autour de l’usage du LSD pour traiter l’addiction (sucre, alcool, cocaïne, opiacés…) et les troubles psychiques (anxiété, dépression…), en partenariat avec divers instituts médicaux, dont l’hôpital universitaire de Bâle, en Suisse.
Au même moment, la jeune pousse Atai Life Sciences, qui pilote elle aussi plusieurs programmes utilisant des drogues psychédéliques à des fins thérapeutiques, a de son côté annoncé (lien : https://www.investors.com/news/psychedelic-stocks-atai-life-sciences-seeks-100-million/) sa volonté de lever 100 millions de dollars dans le cadre d’une entrée en bourse. Ils viendront s’ajouter aux 362 millions qu’elle a déjà levés auprès de plusieurs investisseurs de la Silicon Valley, dont Peter Thiel. Le célèbre investisseur, qui a été l’un des premiers à croire en Facebook et dirige désormais l’entreprise Palantir, a investi sans sourciller 12 millions dans Atai Life Sciences.
Des bénéfices connus de longue date
Le potentiel du LSD et de la psilocybine (substance contenue dans les champignons hallucinogènes) pour lutter contre les addictions et certains troubles psychiques est connu depuis les années 1950. Dès cette époque, le psychiatre britannique Humphry Osmond, inventeur du terme « psychédélique », teste avec succès l’usage du LSD pour aider ses patients à sortir de l’alcoolisme. Il n’est pas le seul : entre 1950 et 1965, plus de 40 000 patients dans le monde sont traités pour des troubles allant de l’addiction à l’autisme et la schizophrénie, et plus de 1 000 papiers de recherche sont publiés. L’acteur Cary Grant suit lui-même une thérapie au LSD pour soigner (avec succès) sa dépression suite à son divorce avec Betsy Drake.
Mais dès la fin des années 1960, la guerre contre la drogue menée par la Maison-Blanche sonne le glas de ces études. Ce n’est que très récemment que le gouvernement américain a commencé à autoriser de nouveau la recherche autour des psychédéliques à des fins thérapeutiques. Le potentiel de ces drogues pour guérir l’addiction suscite notamment beaucoup d’espoirs, dans un pays où les opiacés tuent 50 000 personnes et coûtent 78,5 milliards de dollars par an.
Micro-dosing
Si cet intérêt renouvelé pour les usages thérapeutiques des psychédéliques demeure embryonnaire, la Silicon Valley semble déterminée à prendre le train en marche. En août dernier, deux investisseurs historiques de celle-ci, Joby Pritzker et Steve Jurvetson, ont chacun investi plusieurs millions dans une étude The Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies, qui teste l’usage de psychédéliques pour traiter les troubles post-traumatiques. Cet intérêt s’explique à la fois par l’appétence de la région pour les techniques innovantes et par son histoire et sa culture. Berceau de l’industrie technologique américaine, San Francisco constitue depuis la Seconde Guerre mondiale un bastion de la contre-culture, où s’est épanoui le mouvement hippie dans les années 1960.
Loin de se regarder en chiens de faïence, ces deux univers se sont régulièrement mêlés. En plus de pratiquer le bouddhisme et la méditation, Steve Jobs a confié à plusieurs reprises avoir consommé des psychédéliques, qui lui auraient permis de trouver des idées innovantes pour Apple. Douglas Engelbart, pionnier de l’informatique et père de la souris d’ordinateur, était lui aussi un adepte du LSD. Ce mariage des cultures surgit aujourd’hui sous la forme du micro-dosing, une pratique qui gagne en popularité depuis quelques années dans la Silicon Valley. Elle consiste à ingérer de minuscules doses de LSD ou de psilocybine au travail, substances qui, prises dans des proportions si faibles, permettraient d’améliorer sa concentration et d’être plus productif. Si cette pratique reste plutôt marginale et controversée, l’idée d’un usage médical progresse à pas de géant sur le terreau fertile de la contre-culture californienne.
L’obstacle législatif
En novembre 2020, l’Oregon est devenu le premier état américain à légaliser la psilocybine pour des usages thérapeutiques, et une proposition de loi actuellement en cours d’élaboration en Californie pourrait légaliser la possession de plusieurs types de psychédéliques. Mais à l’échelon fédéral, la loi demeure un obstacle non négligeable à l’industrie des psychédéliques à usages médicaux. Si la FDA leur a ouvert la porte, LSD et psilocybine demeurent classés comme des « Schedule I drugs » par la DEA, soit les drogues considérées comme les plus dangereuses, et donc les plus étroitement régulées.
À noter que le cannabis est toujours considéré comme une « Schedule I drug » alors que nombre d’états l’ont légalisé : peu de chance, donc, que le statut des psychédéliques soit modifié dans un horizon proche. Cet état de fait pourrait rendre les autorités médicales quelque peu frileuses et entraver le développement de l’industrie. Il en faut toutefois davantage pour décourager Peter Thiel et ses confrères.
Source : Latribune.fr