Traiter la dépendance avec du cannabidiol ? Si peu d’études ont pour l’heure été menées chez l’Homme, l’idée fait son chemin… et inspire les instigateurs d’une étude-pilote « CANNAVAP ».
Le cannabis est un problème de santé publique en France et dans le monde : c’est en effet la substance illicite la plus produite et consommée, avec 192 millions d’usagers1. La France est le plus gros consommateur de cannabis d’Europe, et si le nombre exact de personnes présentant une dépendance n’est pas connu, l’OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies) estime que 11 % des 18-64 ans sont des usagers de cannabis2.
L’arsenal thérapeutique permettant de venir en aide aux usagers qui souhaitent diminuer ou arrêter leur consommation de cannabis est très réduit. Aucun traitement spécifique de la dépendance au cannabis n’a fait aujourd’hui la preuve de son efficacité. En pratique clinique on propose une prise en charge symptomatique des éventuels signes de sevrage, qui peuvent durer jusqu’à un mois (traitements anxiolytiques, somnifères, antalgiques…)3
De l’intérêt du cannabidiol
Le cannabidiol (CBD) est le deuxième cannabinoïde le plus présent dans le cannabis, après le delta-9-tetrahydrocannabinol (THC). Contrairement au THC il n’est pas euphorisant et ne procure pas le «high» recherché par les usagers de cannabis à visée récréative. Le CBD apparaît jusqu’à présent à très faible risque de toxicité. Les seuls effets secondaires rarement rapportés sont une diarrhée, des nausées, une céphalée, une modification de l’appétit et une fatigue.45
Une récente étude de phase I n’a pas retrouvé de répercussion somatique ou psychique inquiétante à court terme lors de l’administration de 1 500 à 6 000 mg de CBD par jour à des sujets sains6. Contrairement au THC, il ne semble pas avoir d’effet récréatif ou hédonique. Aucun argument n’a été rapporté jusqu’à présent pour un potentiel addictogène dans les modèles animaux ou chez l’humain, et aucun cas de mésusage de CBD n’a été rapporté. Un rapport récent de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) concluait à un bon profil de sécurité du CBD7.
La liste des potentiels thérapeutiques du CBD est longue : anticonvulsivant, antalgique, anti-inflammatoire, antiémétique, immunomodulateur, anxiolytique, antipsychotique, antidépresseur, voire même anticancéreux… En pratique, la prudence quant à des effets miraculeux de cette molécule est de mise, puisque peu d’études ont été réalisées chez l’Homme. Aujourd’hui les deux seuls médicaments à base de CBD sont l’Épidiolex, pour le traitement de l’épilepsie résistante de l’enfant, qui n’a pas d’autorisation de mise sur le marché en France, et le Sativex, contenant également du THC, autorisé en France pour les troubles de la spasticité liés à la sclérose en plaque mais non commercialisé pour l’instant, par absence d’accord sur le prix avec le laboratoire. Le CBD attise néanmoins bien des fantasmes, et dans des pays comme les États-Unis ou la Suisse, sa présence devient même un argument marketing dans de multiples produits de consommation courante (allant de produits cosmétiques au café ou aux bières enrichies en CBD).
De rares études…
Alors, y a-t-il quelque chose à attendre du CBD dans le traitement des dépendances? C’est possible. L’implication du système endocannabinoïde dans les addictions et dans le circuit de la récompense est de plus en plus claire89. Une modulation de ce système pourrait donc peut-être avoir des effets positifs dans les troubles de l’usage de substance quel que soit le produit consommé…
Plusieurs études animales concluent à un intérêt du CBD dans la dépendance aux opiacés, à la cocaïne, aux amphétamines, au cannabis et à l’alcool1011. Malgré ces résultats prometteurs, très peu d’études ont à l’heure actuelle été réalisées chez l’Homme.
Dans la dépendance au tabac, uneétuderandomiséeendoubleaveuglesur24personnesa retrouvé une efficacité d’un inhaleur de CBD dans la diminution du nombre de cigarettes fumées par jour12. On peut également rappeler que des cannabinoïdes de synthèse avaient ainsi prouvé leur efficacité dans la dépendance au tabac chez l’homme, avant d’être retirés du marché en raison d’effets secondaires trop importants13.
Les seules autres études cliniques concernent l’usage abusif du cannabis. Il s’agit de deux case reports décrivant l’utilisation de CBD en comprimé pour l’un et en huile pour l’autre et ayant permis un sevrage en cannabis chez des patients complexes1415.
Voilà l’état actuel des connaissances. Le CBD n’a pour l’instant pas de preuve robuste de son efficacité dans les addictions faute d’évaluation, mais il existe un rationnel scientifique bien établi pour le lancement d’études cliniques.
Cela est d’autant plus vrai que le CBD est accessible. La Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les dépendances et les conduites addictives) a déclaré que les produits contenant du CBD n’étaient pas interdits s’ils étaient issus de variétés de chanvre autorisées (figurant sur une liste dans l’arrêté modifié du 22 août 1990 portant sur l’application de l’article R. 5132-86 du Code de santé publique), s’ils étaient issus des graines et des fibres de ces plantes (et donc pas des fleurs), et si les plantes comportaient une teneur inférieure à 0,2 % en THC16. Des produits de consommation courante comportant du CBD sont donc en vente libre : e-liquides, huile, infusions… L’Épidiolex peut être obtenu théoriquement en faisant une demande d’ATU (autorisation temporaire d’utilisation) à l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament).
Nous travaillons actuellement à l’étude pilote CANNAVAP, qui devrait voir le jour en 2019. Le but de cette étude est d’évaluer l’efficacité du CBD inhalé par cigarette électronique dans la réduction de consommation de cannabis. Elle concernera dix usagers de cannabis désireux de réduire ou d’arrêter leur consommation pendant une période de trois mois. Des cigarettes électroniques et du e-liquide comportant du CBD (à plusieurs concentrations) leur seront fournis en Csapa.
Il reste en tout cas encore beaucoup à faire pour explorer cette piste thérapeutique prometteuse, et nous espérons que d’autres études similaires seront bientôt menées.
- 1. United Nations Office On Drugs And Labor. World Drug Report 2018 (Set of 5 Booklets). S.L.: United Nations; 2018.
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- 3. Marshall K, Gowing L, Ali R, Le Foll B. Pharmacotherapies for cannabis dependence. Cochrane Database Syst Rev. 2014;(12):CD008940.
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Source : http://vih.org/20190520/cannabidiol-lautre-canabinoide-present-cannabis-piste-therapeutique-prometteuse/141891