Publié le 16 septembre 2020 | Par Ariel Guez pour LCP
Dans un rapport d’étape publié mercredi, des députés s’alarment du retard pris par la France en matière d’usage thérapeutique. Ils pressent notamment le gouvernement de publier un décret rendant possible une expérimentation auprès de 3.000 malades, comme le prévoit la loi.
En matière de cannabis, l’Hexagone est l’un des rares États de l’Union européenne à ne pas encore avoir permis l’utilisation du THC, le principe actif de la plante, dans un but thérapeutique. L’Allemagne, l’Italie, ou encore l’Espagne l’ont fait. Et c’est parce que « la France est à la traîne » que Robin Reda (LR) et Jean-Baptiste Moreau (LaREM) veulent agir. Les deux députés, respectivement président et rapporteur général de la mission d’information parlementaire sur « la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis », présentaient mercredi un rapport d’étape.
Cette mission d’information, commune à six commissions parlementaires, a été constituée en janvier 2020. Si les députés travailleront encore sur le sujet pendant quelques mois, ils proposent déjà dix mesures, adoptées à l’unanimité. Dix mesures, pas plus à ce stade, un moyen de rendre plus lisibles les travaux et les priorités de la mission, explique Jean-Baptiste Moreau.
UNE PROPOSITION DE LOI SI LE DÉCRET N’EST PAS PUBLIÉ
Car il y a urgence, plaident les députés. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2020, qui est entré en vigueur le 1er janvier dernier, prévoyait à travers l’un de ses articles qu’un décret devait rendre possible, pendant deux ans et pour 3.000 malades, l’expérimentation du cannabis thérapeutique. Mais neuf mois plus tard, ce décret n’a toujours pas été publié.
En juin 2020, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a indiqué que « le début de l’expérimentation, initialement prévu en septembre 2020, [était] reporté au plus tard en janvier 2021 ». Robin Reda, qui estime avec ses collègues que le gouvernement « n’a pas engagé une démarche assez volontariste », table sur « le début de l’année 2021, ce qui est déjà trop tard ».
« On ne peut plus attendre », souligne Jean-Baptiste Moreau, qui justifie ainsi que la première proposition de la mission d’information soit de tout faire pour que ce décret puisse être publié le plus rapidement possible. Quitte, si ce n’est pas le cas, à déposer une proposition de loi :
» S’IL FAUT LE FAIRE NOUS-MÊME ET SI LES CHOSES NE VONT PAS ASSEZ VITE, ALORS NOUS LE FERONS. NOUS PRENDRONS NOS RESPONSABILITÉS. » JEAN-BAPTISTE MOREAU, LE 16 SEPTEMBRE 2020
« Les malades se moquent du calendrier politique : ils souffrent et doivent être soulagés », continue le rapporteur général.
Cinq pathologies seront concernées par le dispositif, dont la sclérose en plaques et certaines formes d’épilepsie. Si l’expérimentation se révélait être concluante, près de 700.000 patients pourraient recourir à des médicaments à base de cannabis. Toutefois, pour en assurer « le déroulement impartial » dans un cadre « strict et défini », les élus demandent de renoncer à la gratuité des produits et de définir un budget nécessaire à la réalisation de l’expérimentation.
Jean-Baptiste Moreau explique que les scientifiques et les médecins « doivent avoir la main » lors de l’expérimentation, pour éviter que les laboratoires donnent leurs produits en attendant des contreparties. Aussi, la non-gratuité permettrait de s’assurer de la qualité des produits, avance le député de la Creuse. En revanche, les députés recommandent d’initier dès maintenant une réflexion « sur le statut des différents produits du cannabis thérapeutique afin de garantir que ces traitements puissent s’inscrire dans le cadre d’un parcours permettant leur remboursement ».
LA CULTURE DU CHANVRE, “UN ENJEU DE SOUVERAINETÉ”
S’appuyant sur les résultats des voisins européens de la France, les membres de la mission d’information se montrent confiants sur les résultats de cette future expérimentation et planchent déjà sur l’après. Ils proposent de créer les conditions de développement d’une filière française de cannabis thérapeutique. « La question du calendrier est fondamentale, écrivent-ils dans leur rapport. S’il paraît impossible pour des entreprises françaises de prendre part à l’expérimentation, il est essentiel qu’elles puissent à présent développer une recherche et une production afin d’être en mesure, en cas de pérennisation de l’expérimentation, de prendre le relais des produits importés ».
Pour ce faire, s’inspirant de l’Allemagne, les députés recommandent notamment de confier à un organe public la régulation du cannabis thérapeutique, chargé du contrôle de la culture, de la qualité, de la transformation et du stockage des produits.
Car, avance le député de l’Essonne, Robin Reda, derrière la culture du chanvre, « il y a un enjeu de souveraineté économique sur le plan sanitaire, mais aussi un enjeu de souveraineté agricole ». Selon les élus, le marché français du cannabis thérapeutique pourrait dégager jusqu’à 500 millions d’euros dans les cinq prochaines années. Jean-Baptiste Moreau en est persuadé : cela permettrait de dynamiser son territoire. « Aujourd’hui, vous pouvez exploiter tout le chanvre, sauf la fleur. »
« OUI LE CANNABIS EST UNE DROGUE, MAIS… »
S’il reconnaît que « le cannabis n’est pas un produit comme les autres », le rapporteur général s’insurge des caricatures qui sont parfois faites de la plante, y compris au plus haut sommet de l’État. « Oui, le cannabis est une drogue, au même titre que l’opium », rappelle Jean-Baptiste Moreau. Mais cela n’empêche pas qu’une molécule puisse servir à des fins thérapeutiques ! » (La morphine, qui peut être prescrite dans tous les hôpitaux français, est une molécule extraite de l’opium, comme l’est le THC du cannabis, ndlr)
Les députés insistent sur le fait que les propositions publiées ce mercredi ne portent que sur l’usage thérapeutique du cannabis. La question du cannabis récréatif sera quant à elle abordée plus tard par la mission d’information qui a repris ses travaux cette semaine. Rapporteure thématique de la mission, Caroline Janvier (LaREM), précise que le rapport global sera publié « début 2021 ». Sur le cannabis, « il y a beaucoup d’idéologies, de fantasmes et de préjugés. Ça nuit au débat de fond », conclut la députée du Loiret qui appelle à la sérénité sur le sujet.
Source LCP