REMUE-MÉNINGES, jeudi 6 février 2020
Albert Moukheiber
Illicites en France, le LSD, la MDMA ou le cannabis pourraient soigner certains troubles psychiatriques.
En anglais, le mot « drug » signifie aussi bien « drogue » que « médicament ». Le fait que le français fasse une distinction sémantique n’est pas anodin, car cela présuppose une hiérarchisation des substances psychotropes (qui agissent sur notre appareil psychique) : les médicaments soignent et les drogues nuisent. Toutefois, certaines drogues ne seraient-elles pas de très bons médicaments? Historiquement, en France, cette question a toujours divisé, jusqu’à, au mieux, décourager certaines velléités toxicomanes, au pire, empêcher l’avancée de la recherche. Ailleurs, dans les années 1960, plusieurs centaines d’articles scientifiques font état de l’efficacité potentielle du LSD sur certaines maladies psychiatriques en complément d’une thérapie. Au cours de la décennie suivante, la MDMA est explorée. Quant au cannabis, il a été utilisé dans de multiples contextes, valables ou pas, au fil de l’histoire de l’humanité.
Un blocage de quarante ans
Fin 1970, la loi Mazeaud met fin en France à ces explorations. Les drogues, désormais considérées comme n’ayant pas d’utilisation médicale acceptée, sont interdites. Une sorte de raisonnement circulaire en découle : puisque les drogues sont prohibées, elles n’ont pas d’application thérapeutique, mais, dans le même temps, les chercheurs ne peuvent pas vraiment explorer leur potentiel. Cette situation de blocage va perdurer pendant près de quarante ans. En parallèle, la recherche psychopharmacologique semble stagner : les moyens de traitements n’ont pas connu pas d’évolution significative depuis un bon moment quand, en 2007, David Nutt, chercheur à l’université de Bristol, décide qu’il est temps de rouvrir la porte à la recherche sur les effets thérapeutiques de plusieurs drogues. Il publie dans The Lancet un article polémique sur la classification de la dangerosité des différentes drogues qui va contre le ressenti général.
Un article similaire paraît en 2010, et, cinq ans plus tard, le Pr Nutt lance un financement participatif pour étudier les effets du LSD sur le cerveau – il récoltera plus de 50 000 livres en moins d’une semaine. Aujourd’hui chef du département de neuropsychopharmacologie de l’Imperial College de Londres, il contribue considérablement à revitaliser un champ d’étude resté au point mort depuis trop longtemps.
Les effets de la psilocybine sur la dépression
Ces cinq dernières années, plusieurs travaux sont venus confirmer l’intuition des scientifiques qui ont bravé l’interdit et exploré ces pistes thérapeutiques abandonnées pour des raisons infondées sur le plan pharmacologique – la chimie de notre cerveau ne distingue pas ce qui légal de ce qui ne l’est pas. Ainsi, la psilocybine, la substance active des champignons hallucinogènes, semble avoir un effet significatif sur les dépressions résistantes, comme l’ont montré le Dr Robin Carhart-Harris et son équipe, de l’Imperial College, en 2018. De même, le Pr Roland Griffiths a prouvé qu’elle pouvait avoir une utilité dans le cas de certains troubles anxieux, notamment chez les patients atteints de cancer. Enfin, le LSD est porteur d’espoir face aux ravages de l’alcoolisme, et le cannabis thérapeutique est déjà disponible dans plusieurs Etats américains. Il faut noter que la prise de ces substances se fait la plupart du temps avec un suivi thérapeutique et, évidemment, de manière contrôlée. Il s’agit aussi d’éviter de tomber dans la pensée binaire en estimant que « si ça aide, c’est que c’est bien » . L’abus de drogues, comme l’abus de médicaments, peut être nocif à la santé.
Des études prometteuses
Nous en sommes encore au tout début de l’exploration des applications potentielles de ces substances, mais un pas énorme vient d’être franchi, voilà quelques semaines à peine : la Food and Drug Administration (FDA) vient de faciliter l’accès à la MDMA comme médicament pour soigner l’état de stress post-traumatique. Les études sont tellement prometteuses que la FDA envisage, dès 2021, une mise sur le marché sous la forme de médicament nécessitant une ordonnance. Malheureusement, en France, la recherche sur ces sujets reste quasiment toujours paralysée. A part quelques premiers travaux sur la kétamine, le statut illégal et illicite de ces substances rend, institutionnellement, le passage à un usage médical très compliqué pour les chercheurs. En ce sens, un assouplissement de la classification de ces substances est une urgence pour que la recherche psychopharmacologique dans l’Hexagone ne prenne pas un retard considérable.
Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue clinicien.
Source : lexpress.fr