22 décembre 2018
Le nouveau gouvernement a décidé de légaliser le cannabis récréatif. Un nouveau marché qui pourrait s’inspirer des modèles canadiens ou uruguayen.
Le cannabis est la drogue illicite la plus souvent consommée en Europe: 17,2 millions de jeunes Européens âgés de 15 à 34 ans ont fumé du cannabis l’an dernier et environ 1 % des adultes européens en consomment quotidiennement. Soit un jeune sur cinq, selon cette estimation de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) dans son rapport annuel 2018.
Pour 8 à 16,67 euros le gramme d’herbe – «5 euros dans des grandes quantités», dit-on dans les procès des petits dealers locaux –, le consommateur peut facilement trouver son bonheur au Luxembourg, entre herbe marocaine, albanaise ou nigériane. En 2017, la police a saisi 99,25 kg de résine de cannabis, 17,9 kg d’herbe de cannabis, 995 pilules d’ecstasy, 2,78 kg de cocaïne et 0,69 kg d’héroïne. 172 personnes ont par ailleurs été arrêtées dans le cadre d’infractions contre la loi sur les stupéfiants.
Canada, un cas particulier
La consommation de cannabis était deux fois plus élevée chez les jeunes, au Canada, quand cette drogue a été légalisée, le 17 octobre.
Les autorités estiment que lutter contre les 657 organisations criminelles leur coûte 1,4 milliard d’euros là où elles empochent 4,61 milliards d’euros. Autant vendre soi-même son cannabis. L’objectif est de ramener au moins 50% des 4,61 milliards dans le circuit légal et des taxes dans les poches de l’État, qui a détruit 39.000 kilos de marijuana séchée et 800.000 plants en 2013.
Bien que les études scientifiques évoquent un risque élevé jusqu’à l’âge de 25 ans et la formation complète du cerveau, le gouvernement a retenu la limite d’âge de 18 ou 19 ans, selon les provinces, pour s’aligner sur les limites d’âge d’achat d’alcool ou de tabac. Comme les États américains, le Colorado et Washington, qui ont fixé la majorité à 21 ans, comme pour les deux autres produits.
Le consommateur peut posséder jusqu’à 30 grammes de cannabis légal en public, partager jusqu’à 30 grammes avec d’autres adultes, acheter des produits du cannabis auprès d’un détaillant provincial ou territorial et cultiver jusqu’à quatre plants par ménage (et non par personne) pour ses besoins personnels à partir de semences ou de semis autorisés. Les entorses à la loi sont punies de jusqu’à 14 ans de prison et de fortes amendes.
Le Canada a créé huit (!) licences, quatre pour la culture, deux pour la transformation et deux pour la vente (à des fins médicales ou non). Les deux licences standard et celle pour la vente médicale coûtent 2.126 euros mais quelqu’un qui produirait et vendrait ne paierait qu’une fois cette somme. Les «micro-licences» ne coûtent que 1.063 euros. A ce montant s’ajoutent 1.073 euros pour avoir une habilitation de sécurité et ceux qui travaillent sur les questions médicales ou scientifiques ont encore un droit de près de 400 euros pour l’import-export.
Une fois la licence obtenue, les producteurs devront s’acquitter d’un droit annuel de 2,3% des revenus pour les licences standard et 1% pour les microproductions et microventes, à condition qu’elles ne dépassent pas le million de dollars canadiens sinon le tarif passe à 2,3%. Chaque produit doit porter un timbre d’accise délivré par l’administration fiscale (Canada Revenue Agency). Pour faire simple, celui-ci coûte 0,0046 euro.
Avant de s’en acquitter, les producteurs et les vendeurs doivent entrer dans un protocole où tout est regardé à la loupe par les autorités, la production y compris, dans un «Cannabis Tracking and Licensing System» (LTLS), déjà utilisé pour le cannabis médical depuis cinq ans, qui a été élargi. Les informations du LTLS sont sous la responsabilité du ministre de la Santé.
Dans un rapport prudent avec les chiffres et consacré au marché canadien, Deloitte estime que la consommation devrait augmenter de 35% et les dépenses de 58% parce que le prix des produits «légaux» sera légèrement supérieur à ceux du marché et parce que les consommateurs non quotidiens sont prêts à acheter deux fois plus souvent et pour deux fois plus d’argent.
Un top qualité à un prix bien placé
Le cabinet de consultants estime à moins de 10% la différence que le consommateur est prêt à payer (soit 5,83 euros le gramme au lieu de 5,35 euros) et s’arrêteront d’acheter à 14 euros le gramme pour ceux qui sont déjà consommateurs ou à 11 euros pour les futurs consommateurs.
C’est un des casse-tête que va rencontrer le Luxembourg : comment fixer le prix (entre 5 euros le gramme au tribunal à près de 17 euros selon l’OEDT) compte tenu qu’il faudra produire sous serre et que le prix de l’immobilier alourdira la facture.
Comment favoriser la production de cannabis «made in Lux» par le prix? Dans le rapport de Deloitte, les deux arguments principaux pour lesquels les consommateurs sont prêts à adopter le cannabis légal sont une meilleure qualité du produit (55% des votants) et une gamme de prix pour tous les budgets (54%).
Mais ce n’est pas tout: les clients iront de préférence dans un magasin privé ayant une licence (51%), ou bien dans un magasin d’État (50%) et directement chez un producteur (48%). Mais pas n’importe quel magasin. Le personnel doit savoir de quoi il parle, il doit être possible d’entrer et de sortir facilement, sous-entendu sans être considéré comme un drogué, et à des horaires qui correspondent aux usages. Enfin, les consommateurs veulent que ces magasins soient sûrs et éloignés par exemple des écoles mais aussi que les produits soient une marque identifiable et identifiée.
Signe que l’industrie croit au projet canadien, le cigarettier Altria (Philipp Morris et Marlboro) a mis 1,8 milliard de dollars pour acheter 50% de Chronos, spécialisé dans le cannabis à Toronto, et Constellation Brands (Corona) 4 milliards de dollars pour une part majoritaire dans Canopy Growth, autre acteur majeur. Le marché du cannabis légal devrait décoller de 8 milliards cette année à 21 milliards en 2021.
Source : Wort.lu