EXCLUSIF. Alors que l’expérimentation du cannabis médical touche à sa fin, associations, patients et médecins
s’inquiètent de voir le projet enterré. Dans une tribune, ils tapent du poing sur la table et demandent au
gouvernement de tenir ses promesses. Au nom des malades.
Matin et soir, Pascal Douek dépose sur sa langue quelques gouttes d’huile de cannabis. Et quand les douleurs persistent, que les crises raidissent ses muscles, que ses jambes désobéissantes se mettent à sursauter comme un piano fou, alors il remplit son vaporisateur de fleurs séchées. Quelques bouffées repoussent la violence de la sclérose en plaques, cette maladie auto-immune qui le conduit à vivre en fauteuil roulant. « Ce n’est pas un pétard, c’est un médicament ! » prévient d’emblée cet ancien médecin généraliste de 63 ans, qui participe depuis 2021 à l’expérimentation sur le cannabis thérapeutique. Les 2 700 malades ont tout tenté pour alléger le fardeau des douleurs neuropathiques réfractaires, de fin de vie, des complications liées aux cancers, de l’épilepsie sévère. En vain.
Diagnostiqué en 2012, Pascal n’arrivait plus à marcher 1 km, puis 500 m, puis 100. Bâtons de marche, béquilles, fauteuil : aucun traitement ne le soulageait. « J’avais en permanence des sensations de brûlure et des douleurs obsédantes qui remontaient du pied à la jambe, décrit-il. Le seul moyen de les faire taire, c’était de m’allonger et de dormir. » De ces huiles et fleurs, venues apaiser son quotidien, Pascal n’imagine pas s’en passer : « Arrêter l’expérimentation serait incompréhensible. »
Pourtant, l’inquiétude grandit chez les malades. Dans une tribune que nous publions en exclusivité sur notre site Internet, 17 associations de patients appellent le gouvernement à « tenir ses promesses ». « Nous lançons un appel aux pouvoirs publics pour assurer l’entrée dans le droit commun du cannabis médical dès l’année prochaine, sans en rendre l’accès difficile, voire impossible, aux traitements. »
« Ils confondent beuh, shit et médicament »
L’expérimentation doit prendre fin en mars 2024. « Avec la Direction générale de la santé, on a monté un groupe de travail pour définir un statut dans le but de le légaliser. Sauf que, surprise, le cannabis médical ne figure pas dans le projet de loi de la Sécurité sociale qui s’apprête à être présenté. Pas une ligne ! Comment l’expliquer ? » s’indigne Marie-Madeleine Gilanton, à l’origine de cette tribune et présidente d’Apaiser, une association qui fédère 500 personnes atteintes de syringomyélie, une maladie de la moelle épinière.
Les 17 signataires sont d’autant plus préoccupés que, selon eux, son accès pourrait être restreint et seulement délivré à l’hôpital. « Les médecins généralistes ne pourraient plus le prescrire, ni les pharmacies en ville le distribuer. Si on en arrive là, c’est clair, on tue le projet ! Et on pousse des milliers de patients à se fournir dans la rue. Encore une fois, ce sont eux qui en pâtissent ! »
Il y a quelques mois, certains d’entre eux s’étaient retrouvés démunis après la décision de reprolonger l’expérimentation d’un an. « Nous n’avons pas le nombre de patients suffisants pour tirer des conclusions », avait déclaré François Braun, alors ministre de la Santé. Les labos qui fournissaient le cannabis gratuitement le temps du test avaient alors arrêté. Et le temps que l’appel d’offres soit renouvelé, des malades s’étaient retrouvés privés de leurs produits. Alors, cette fois, associations, patients, médecins montent au front.
Le pharmacologue Nicolas Authier, qui préside à l’agence du médicament (ANSM) le comité scientifique sur le cannabis médical, ne cache pas sa colère : « On a toujours fait face à des détracteurs, mais cette fois, à l’heure de la légalisation, l’opposition vient d’instances répressives et sécuritaires qui confondent beuh, shit et médicament, comme le ministère de l’Intérieur. Ils pensent que généraliser le cannabis médical créerait la confusion dans l’esprit des Français alors que, au même moment, le trafic de stupéfiants gagne du terrain dans le pays. Vent debout, le médecin évoque un « non-sens ».
« Les stupéfiants, c’est leur problème, pas le nôtre. L’échec de leur politique ne doit pas entraîner celui de l’accès à des médicaments. Chacun ses compétences. »
Certes, le professeur Nicolas Authier le reconnaît, le cannabis thérapeutique n’est pas une potion magique. Pascal, atteint de sclérose en plaques, le dit lui-même : sa souffrance s’est atténuée sans disparaître. « Si 30 % des 2 700 patients ont abandonné à cause des effets secondaires, 68 % ont vu leur état de santé s’améliorer, certains ont pu reprendre le travail, explique le pharmacologue. On parle là de gens qui ont tout tenté, qui vivent 24 heures sur 24 avec des douleurs atroces qui leur donnent l’impression de recevoir des coups de couteau, d’avoir été jeté dans les orties. On ne peut pas les abandonner ! »
Le retour du tramadol ?
Les signataires de tribune, eux, estiment que ces médicaments à base de cannabis constituent « une lueur d’espoir face à des traitements inefficaces ou mal tolérés ». « L’absence d’action de la part de l’État prolonge la souffrance de près de 300 000 patients », dénoncent les 17.
Nicolas Authier craint aussi que, si ce projet périclite, les malades ne se retrouvent avec des ordonnances de produits bien plus puissants : morphine, tramadol, oxycodone qui ont rendu l’Amérique accro et provoqué la mort de plus de 80 000 personnes entre 2021 et 2022. « C’est un comble, prescrire ces drogues ne pose pas de problème, mais le cannabis… si ! »
Contacté sur l’avenir de l’expérimentation, le ministre de l’Intérieur nous renvoie vers le ministère de la Santé. Quant à sa Direction générale, elle nous répond qu’à ce stade « les concertations sont encore en cours ».