AFP Infos Françaises
mardi 20 avril 2021
« Lancer un grand débat national sur la consommation de drogue » : après cette proposition soudaine d’Emmanuel Macron à un an de la présidentielle, parlementaires, médecins et experts aimeraient le prendre au mot et réclament une véritable réflexion sur l’usage du cannabis en France.
Avec un entretien fleuve au Figaro et un déplacement à Montpellier en compagnie du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le chef de l’État a voulu afficher lundi sa fermeté face aux trafics de drogue, une lutte devenue la « mère des batailles ».
Harcèlement des dealeurs, amendes forfaitaires pour le consommateur, refonte de l’Office anti-stupéfiants qui cible les gros réseaux, le président a assuré vouloir mettre un « coup de frein » à la drogue, dans un pays champion d’Europe de la consommation de cannabis avec 1,5 million d’usagers réguliers.
« La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères », a-t-il ajouté.
Un diagnostic partagé par les députés LREM aux commandes de la mission parlementaire sur le cannabis, qui s’apprêtent pourtant, après plus d’un an de travail, à rendre début mai un rapport aux conclusions diamétralement opposées, esquissant des pistes pour envisager une légalisation aujourd’hui totalement exclue par Emmanuel Macron.
« Vrai débat »
« On a besoin d’un débat pour évoluer sur ce sujet sensible, qui génère beaucoup d’amalgames et de fantasmes », déclare à l’AFP Caroline Janvier, la députée spécialisée sur l’usage récréatif du cannabis. « Satisfaite » par la proposition présidentielle, elle espère « une prise de conscience collective ».
« La légalisation, c’est la meilleure façon de lutter contre les problèmes identifiés par le président: la santé psychiatrique des jeunes, le décrochage scolaire, le financement de la délinquance et de la criminalité », estime-t-elle. « Il faut permettre à l’État de reprendre le contrôle plutôt que de laisser la main aux dealeurs. »
« Transpartisan », basé sur des dizaines d’auditions rassemblant sociologues, addictologues, policiers, juristes, historiens et associations d’usagers, ainsi que sur l’examen critique des modèles de légalisation adoptés au Canada et dans plusieurs États américains, le rapport des parlementaires va « se consacrer au fond, loin des postures politiques », insiste-t-elle.
« Si on a un tel échec depuis 50 ans sur notre politique contre le cannabis, c’est parce qu’on a confondu l’idéologie et le pragmatisme », juge la députée de l’Eure. « Aujourd’hui, on sait parfaitement qu’un point de deal démantelé est reconstitué 24 heures après. »
« Il y a un échec de la répression, qui n’est pas seulement français, mais mondial », abonde son collègue de Moselle, Ludovic Mendès, en réclamant « l’ouverture d’un vrai débat ».
Sur Twitter, le rapporteur général de la mission Jean-Baptiste Moreau a appelé à faire preuve de « courage politique ».
« Légaliser ne signifie pas faire n’importe quoi », a poursuivi le député de la Creuse. « Il faut un encadrement des prix et de la qualité, ainsi qu’une réelle prévention, notamment auprès des jeunes ».
Experts sceptiques
Professionnels de santé et experts affichent eux une certaine lassitude face à un discours perçu comme « électoraliste ».
Avec cette offensive, le chef de l’État acte « le retour de la guerre à la drogue », regrette Virginie Gautron, maîtresse de conférence en droit pénal et sciences criminelles à l’université de Nantes. « De nombreux travaux montrent pourtant que lorsqu’on cherche à casser le trafic par des actions coups de poings, les trafiquants s’adaptent. »
« Sur le débat, on dit chiche, on le réclame depuis de nombreuses années », explique à l’AFP Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction. « Mais quand l’exécutif parle de drogues, il parle toujours de sécurité, sans poser le problème de manière globale ».
« Personne ne banalise les effets de la consommation de drogues, l’usage régulier de cannabis chez les jeunes peut se traduire par des effets neuropsychiatriques handicapants », ajoute William Lowenstein, président de l’association SOS Addictions. « Mais la répression n’a jamais réglé le problème. Au lieu de briser ce tabou, Emmanuel Macron propose d’en remettre une couche. »
« Si on veut éclairer le débat, il y a des travaux de grande qualité depuis un an à l’Assemblée nationale et qui ne se résument pas à dire : +la drogue, c’est de la merde+ », poursuit l’addictologue. « J’espère que le président les lira. »