Depuis des décennies, les dirigeants politiques de nombreux pays se sont retranchés derrière les conventions internationales pour justifier la prohibition des drogues, et notamment du cannabis. Les trois conventions des Nations Unies de 1961, 1971 et 1988, renforcées par les politiques répressives américaines et européennes, ont cimenté l’idée que la répression était la seule réponse possible à l’usage de stupéfiants. Pourtant, en avril 2025, depuis Bogotá, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a lancé un pavé dans la mare lors d’une conférence internationale sur la réduction des risques : il est temps de tourner la page de cette guerre aux drogues.
La fin d’une époque : l’échec de la prohibition
Volker Türk n’a pas mâché ses mots. Selon lui, la criminalisation des drogues « échoue lamentablement » à atteindre ses objectifs. Elle « rate sa cible » en matière de santé publique, « discrimine les populations les plus vulnérables », et, plus surprenant encore, contribue à la dégradation environnementale mondiale. Oui, la guerre contre la drogue est aussi un désastre écologique. Déforestation massive, pollution chimique, stress hydrique : les impacts environnementaux du narcotrafic et des opérations militaires pour le combattre sont dévastateurs.
Cette prise de position marquée de l’ONU, qui reconnaît enfin les ravages de la prohibition, force une question cruciale : nos dirigeants, si prompts à justifier des décennies de répression au nom des textes internationaux, vont-ils maintenant se cacher derrière ces mêmes textes pour justifier un virage vers la légalisation ?
Retailleau et Darmanin, les apôtres de la répression pris à contre-pied ?
Alors, messieurs Retailleau et Darmanin, que fait-on maintenant ? On continue de bétonner les prisons et de criminaliser à tour de bras en citant les conventions internationales comme un mantra indiscutable ? Ou bien va-t-on se retrancher derrière ces mêmes textes pour justifier, cette fois, une légalisation pragmatique ? Parce que, soyons honnêtes, si l’ONU commence à admettre que la prohibition est un échec total et un désastre humain et environnemental, ça complique un peu le discours. Peut-être que la prochaine étape, c’est de découvrir que les consommateurs ne sont pas, en fait, les criminels que vous prétendez qu’ils sont ? Spoiler : ils ne le sont pas.
Une approche plus humaine et fondée sur la science
Dans son discours, Volker Türk a appelé à une transformation radicale des politiques mondiales sur les drogues. « Nous avons besoin d’une approche transformative », a-t-il déclaré. « Au lieu de mesures punitives, nous avons besoin de politiques en matière de drogues sensibles au genre et fondées sur des preuves, ancrées dans la santé publique. »
Il a souligné l’importance de garantir un accès inclusif aux soins médicaux volontaires, à un logement adéquat et à d’autres services sociaux, plutôt que de stigmatiser et criminaliser les usagers. « Les mesures de réduction des risques, qui préviennent les décès par overdose, sont essentielles », a-t-il ajouté, rappelant que la criminalisation non seulement échoue à réduire l’usage des drogues, mais aggrave également les discriminations et les inégalités sociales.
Türk a également mis en avant la nécessité de protéger les droits des personnes historiquement marginalisées, notamment les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les usagers de drogues, souvent criminalisés et privés de leur dignité. « Nous devons traiter la personne, pas punir le trouble », a-t-il martelé, appelant à une politique basée sur l’inclusion et le respect des droits fondamentaux.
Un échec global reconnu par les experts
Le chef des droits de l’homme de l’ONU ne parle pas dans le vide. Son discours s’appuie sur des années de constats accablants de la part d’experts, d’ONG et de groupes onusiens. Un rapport de 2023 de la coalition internationale sur la réforme des politiques des drogues et la justice environnementale a dénoncé l’impact destructeur du trafic illégal sur les écosystèmes les plus sensibles. Déforestation, stress hydrique, pollution chimique — autant de conséquences ignorées depuis des décennies au nom de la guerre contre la drogue.
Les coûts humains et environnementaux de la prohibition
Entre 2012 et 2021, 30 pays donateurs ont dépensé près d’un milliard de dollars en aide internationale pour la lutte antidrogue, souvent dans des régimes où la simple possession peut encore mener à la peine de mort. Aux États-Unis, 13 milliards de dollars de l’argent des contribuables ont été engloutis dans des opérations de lutte anti-drogue à l’étranger entre 2015 et 2023. Le tout pour des résultats désastreux en termes de droits humains et d’environnement.
Dans ce contexte, Türk a particulièrement salué la présence des usagers eux-mêmes à la conférence, reconnaissant qu’ils sont historiquement marginalisés, criminalisés et privés de leurs droits. Il a également appelé à un changement radical : « Il est temps de mettre fin à la stigmatisation et de créer des politiques des drogues fondées sur les droits humains, qui mettent les personnes avant la punition. »
Vers une régulation responsable et inclusive
Volker Türk pousse pour une transition claire : passer de la criminalisation à la régulation intelligente. Pas une légalisation sauvage à la va-vite, mais une stratégie pensée, adaptée et coordonnée. « Il n’y a pas de solution universelle, mais la collaboration est cruciale », a-t-il souligné. Il a aussi insisté sur l’importance d’un espace civique ouvert, où la société civile, les usagers de drogues et les autres parties prenantes peuvent s’exprimer sans crainte de répression.
Le moment est venu de choisir l’inclusion plutôt que l’incarcération, les personnes plutôt que la punition. C’est le message fort que l’ONU envoie au monde entier.
Alors, messieurs Retailleau et Darmanin… êtes-vous prêts à sortir de l’hypocrisie et à tourner la page ? Ou préfèrez-vous, encore une fois, vous abriter derrière les textes que vous brandissiez naguère comme des certitudes inébranlables ?
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