Par le CIRC – Collectif d’Information et de Recherche Cannabique
« Un monde sans drogue », voilà un fantasme politique et moral qui traverse les siècles comme un serpent de mer. Une illusion entretenue par l’État, les médias ou encore certaines institutions internationales, au nom d’un ordre sanitaire ou moral prétendument supérieur. Mais cette utopie autoritaire, dont les conséquences sociales, sanitaires et humaines sont catastrophiques, est un contresens historique, anthropologique et psychologique.
Les drogues ont toujours existé. Et elles existeront toujours. Qu’on les aime, les craigne, les encadre ou les diabolise, elles font partie de notre condition humaine.
La dépendance, ce mot-valise
Le mot « drogues » fait peur. Le mot « addiction » encore plus. Mais savons-nous vraiment de quoi nous parlons ? L’amalgame entre dépendance, accoutumance et addiction est constant, au point d’empêcher tout débat serein.
Comme le rappelle le sociologue Patrick Pharo, « au sens le plus mou, on est tous dépendants de quelque chose ou de quelqu’un ». Et c’est vrai : le nourrisson est dépendant du sein de sa mère, l’amoureux de l’attention de l’autre, le jogger de ses endorphines, l’écrivain de ses mots. Toutes ces dépendances sont vitales ou joyeuses. Ce sont elles qui nous font tenir debout.
L’addiction, en revanche, c’est autre chose : c’est le moment où une pratique ou une substance prend le pas sur le libre arbitre, sur la conscience du dommage, et s’impose malgré la souffrance qu’elle entraîne. Mais même cette notion reste relative. Le plaisir est-il une aliénation en soi ? Doit-on diaboliser toute recherche de plaisir sous prétexte qu’elle peut dériver ?
Drogues et liberté : le paradoxe
Consommer une substance psychoactive est d’abord un geste de liberté. Une transgression, parfois, mais aussi une quête : celle du plaisir, de l’oubli, de la créativité, de l’apaisement, de la connexion à soi ou au monde. Il est donc fallacieux de réduire les usages à une pathologie. Car la majorité des consommateurs de drogues (légales ou non) ne sont pas addicts.
Et dans certains cas, ne pas consommer relèverait d’un manque d’autonomie plus que l’inverse. L’addiction ne réside pas dans l’objet mais dans la relation qu’on entretient avec lui. Il est possible d’être « accro » à un dogme, à un écran, à la performance, à la domination. Ces formes d’addiction sont bien plus valorisées socialement — et infiniment plus destructrices collectivement — que celle d’un pétard fumé entre amis ou d’un trip psychédélique maîtrisé.
La prohibition : une illusion criminogène
Depuis plus d’un siècle, les politiques publiques de lutte contre les drogues se fondent sur un objectif illusoire : l’éradication. Pourtant, aucune société humaine n’a jamais vécu sans substances psychoactives. Du peyotl amérindien au vin de messe chrétien, du khat éthiopien au chanvre indien, de la bière sumérienne au LSD californien, l’histoire humaine est imbibée de drogues.
En persistant à interdire, l’État ne protège pas : il expose. Il délègue le marché à des mafias. Il empêche l’information et la réduction des risques. Il multiplie les discriminations sociales et raciales. Il détruit des vies pour des infractions sans victime. Et surtout : il nie l’évidence. L’usage de drogues est une constante anthropologique. Vouloir le faire disparaître, c’est comme vouloir interdire l’amour parce qu’il rend parfois malheureux.
Les vraies addictions de notre époque ?
La société capitaliste ne se contente pas de tolérer certaines addictions : elle les fabrique, les stimule, les rend désirables. Smartphones, réseaux sociaux, hyperconnexion, jeux vidéo, achats compulsifs, info en continu… Ces dépendances sont moins combattues que rentabilisées.
Comme le décrit Patrick Pharo dans Le capitalisme addictif, notre époque a institutionnalisé la recherche compulsive de récompenses. Il y a dans la société de consommation un mécanisme d’addiction généralisée, où chacun est sommé de « kiffer » à tout prix, d’être performant, disponible, euphorique. Jusqu’à la chute.
Dans ce contexte, les drogues ne sont pas une anomalie mais un révélateur. Elles montrent les failles de notre monde, ses douleurs, ses contradictions. Et parfois, elles offrent des échappées belles.
Choisir ses dépendances, au lieu de les subir
Alors que faire ? Moraliser ? Culpabiliser ? Punir encore ? Ou enfin reconnaître que le plaisir n’est pas un crime, que la recherche de l’altération n’est pas une pathologie, et que le droit de modifier sa conscience devrait relever des libertés fondamentales ?
Nous ne défendons pas l’usage inconsidéré. Nous ne faisons pas l’apologie de l’excès. Mais nous affirmons que l’interdiction généralisée est un non-sens. Qu’il est temps de sortir du régime de la peur. Qu’il est temps de faire confiance aux citoyens. De réguler plutôt que de réprimer. D’informer plutôt que d’enfermer.
Et surtout : de ne plus jamais laisser quiconque croire qu’un monde sans drogue est possible ou souhaitable.
Conclusion : fumer ou boire en lisant cet article ? Aucun problème. Vivre mieux, voilà l’enjeu.
Si vous avez terminé cet article en fumant un joint ou en buvant un verre, vous n’avez pas à culpabiliser. Ce qui compte, ce n’est pas le geste, c’est la relation que vous entretenez avec lui. Si ce moment vous a permis de réfléchir, de ressentir ou simplement de savourer une pause dans votre journée : tant mieux.
Comme le dit Pharo : « Mieux vaut choisir, parmi toutes les dépendances possibles, celles qui rendent notre vie plus belle, et pas celles qui la détruisent. Ça laisse de la marge pour le plaisir. »
Au CIRC, nous luttons pour cela. Pour le droit de choisir. Pour le droit d’être informé. Et pour une société qui ne confond plus la liberté avec le déni.
CIRC – Pour une légalisation pleine, humaine, et lucide.
Lire aussi :
Drogues : sortir de l’addiction et de la répression
Loi Narcotrafic : le prétexte parfait pour piétiner nos droits