En 2017, les cultures illicites de coca ont atteint une taille record en Colombie, premier pays producteur de cocaïne. Sous pression des États-Unis, le gouvernement a décidé de reprendre les épandages critiqués de glyphosate, alors qu’un programme de reconversion des terres peine à se mettre en place.
L’arrêt en Colombie des aspersions aériennes de glyphosate sur les champs de coca n’aura duré que trois ans. Le 9 mai 2015, deux mois après quel’Organisation mondiale de la santé eut classé l’herbicide comme « cancérogène probable », le président colombien Juan Manuel Santos (2010-2018) ordonnait de suspendre définitivement les épandages aériens contre les cultures illicites. Les États-Unis, fournisseurs des avions et des pilotes pour les fumigations, et principaux financeurs de la lutte contre la drogue menée par Bogotá, ont toujours désapprouvé cette décision.
La pression de Washington, particulièrement forte depuis l’arrivée de M. Donald Trump au pouvoir, a finalement eu raison des préoccupations environnementales et sanitaires des autorités colombiennes. Le 26 juin 2018, au lendemain de la publication de chiffres par l’administration américaine montrant que la culture de la coca en Colombie atteignait un niveau historique — 209 000 hectares en 2017 (1) —, M. Santos, qui arrivait en fin de mandat, a annoncé la reprise des pulvérisations aériennes d’herbicide à l’aide de drones. Il a aussi garanti que ces fumigations respecteraient les conditions sanitaires et environnementales nécessaires à leur utilisation. Début septembre, son successeur, Iván Duque, a confirmé cette décision. Grâce à cette méthode, le nouveau président colombien envisage une réduction de 140 000 à 150 000 hectares de la culture de la coca d’ici quatre ans.
Pourtant, l’efficacité des aspersions aériennes est remise en cause depuis plusieurs années. « Chères et dangereuses pour la santé, elles n’ont un résultat probant que sur 3 % des surfaces traitées », soulignait en 2015 M. Daniel Mejia, directeur du Centre d’études sur la sécurité et les drogues de l’université des Andes (2). Son calcul est simple : si, selon les chiffres de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la culture de la coca en Colombie est passée de 163 000 à 48 000 hectares entre 2000 et 2013, durant la même période les pilotes américains ont aspergé d’herbicide… 2,5 millions d’hectares. De fait, les cultures se déplacent au gré de la répression.
Prise de conscience gouvernementale
Responsable du contrôle des cultures illicites au sein de l’ONUDC, M. Leonardo Correa est moins catégorique sur l’inefficacité des épandages, mais convient que l’évolution du nombre d’hectares cultivés obéit à des dynamiques diverses. L’extension actuelle pourrait s’expliquer par l’augmentation du prix de la feuille de coca, par la nécessité de compenser la hausse des saisies de drogue par les autorités colombiennes, par l’investissement par des groupes de narcotrafiquants des territoires laissés libres par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à la suite de l’accord de paix de novembre 2016…
Face à une telle complexité, nombre d’observateurs regrettent la stratégie répressivedes autorités colombiennes, dont pâtissent principalement les cultivateurs, maillon faible de la chaîne, sans que cela affecte réellement les narcotrafiquants.
Il y a quatre ans, après l’annonce par l’ONUDC d’une hausse de la surface de coca cultivée (de 44 % entre 2013 et 2014), le gouvernement de M. Santos avait compris la nécessité de changer de politique. Cette prise de conscience s’est traduite en 2016 par la création, dans le cadre de l’accord de paix négocié avec les FARC, d’un Programme national intégral de substitution des cultures d’usage illicite (PNIS). Le principe : accompagner les cultivateurs de coca afin qu’ils se reconvertissent dans une culture licite. Une solution soutenue depuis des années par des acteurs de la société civile, pour qui la culture de la coca est le symptôme de problèmes structurels de pauvreté et de gouvernance. Les plantations sont principalement, et historiquement, concentrées dans quatre départements du pays, pauvres, éloignés des centres de pouvoir et où la présence étatique se limite souvent à la police et à l’armée. « Ici, l’État est absent, les gens sont obligés de se débrouiller par eux-mêmes », décrit M. Ediver Suarez, de l’organisation paysanne Cisca, dans le Norte de Santander. « Chez nous, pour les paysans, produire de la coca résout un problème de subsistance. Si on détruit leur culture sans rien leur proposer de viable, ils replanteront. »
Sortir de la coca est une équation compliquée, comme le détaille M. Beyer Cardenas, ancien cultivateur de coca dans la région du Magdalena Medio, et responsable depuis 2010 d’Asocafe, une organisation qui réunit deux cents familles reconverties dans la production de café : « D’un côté, vous avez une culture qui nécessite peu d’investissements, permet trois à quatre récoltes par an et dont les débouchés commerciaux sont garantis. De l’autre, vous avez des cultures comme le cacao, le café, qui sont plus chères à produire et que vous ne pouvez récolter qu’une fois par an. Cela explique que des familles qui s’étaient reconverties replantent finalement de la coca : elles ne s’en sortent pas. »
Néanmoins, convaincre les familles cocaleras d’opter pour une culture moins lucrative est possible, estime M. Cardenas : « Le gouvernement doit faire auprès d’elles un travail de sensibilisation sur les méfaits de la culture de la coca. Et il doit leur garantir la possibilité de vivre d’une culture licite. Cela implique de les conseiller et les aider à investir pour pouvoir produire et transformer, et d’organiser un réseau de commercialisation au niveau local et vers l’international pour créer des débouchés. »
Le défi est ambitieux. Certains spécialistes craignent que, par manque de volonté politique, les investissements du gouvernement colombien ne soient pas à la hauteur. Alors que les fumigations se poursuivent, le programme de reconversion se met difficilement en place. En 2017, le gouvernement n’a pas atteint l’objectif de 50 000 hectares reconvertis qu’il s’était fixé. Et, en septembre 2018, seulement un tiers des 87 000 familles inscrites au programme pouvaient compter sur l’assistance technique prévue.
Benjamin Sèze
(1) Bureau national de contrôle de la drogue (ONDCP).
(2) «La Colombie bannit l’épandage de glyphosates», Le Monde, 16 mai 2015.
Source : Monde-diplomatique.fr