Adoptée dans la précipitation et sans la préparation nécessaire pour faire face à ses conséquences juridiques et policières, la loi laisse beaucoup de questions sans réponses.
Il est trop tôt pour dire si la loi que vient d’adopter l’Allemagne instaurant un « usage contrôlé du cannabis » sera un succès ou un échec. Mais un constat s’impose : l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, le 1er avril, s’est faite dans une telle confusion que l’on a du mal à voir comment les objectifs affichés par le gouvernement pourront être atteints, du moins à court terme. Parmi ces objectifs figure l’éradication du marché noir. A l’origine, la coalition dirigée par le chancelier Olaf Scholz prévoyait d’autoriser la vente de cannabis dans des magasins agréés.
Mais Berlin a dû y renoncer, un tel projet se révélant incompatible avec le droit européen. A défaut de pouvoir se procurer du cannabis dans des boutiques ayant pignon sur rue, les consommateurs ont désormais deux solutions : en cultiver chez eux, dans une limite de trois plants par personne, ou adhérer à une association de producteurs, par laquelle ils pourront se voir distribuer jusqu’à 30 grammes par mois s’ils ont entre 18 et 21 ans et jusqu’à 50 grammes s’ils sont plus âgés.
Reste que ces associations de producteurs n’existent pas encore. Selon la loi, elles ne pourront pas commencer leur activité avant le 1er juillet. Encore faut-il pour cela qu’elles aient préalablement obtenu une licence. Or certains Länder font de la résistance, à l’instar de la Bavière, dont le très conservateur ministre-président, Markus Söder, considère que « la légalisation du cannabis est une erreur fatale ».
Si les autorités régionales ne jouent pas le jeu et décident de compliquer la mise en place de ces associations de producteurs, les consommateurs qui ne voudront pas se lancer dans la culture du cannabis continueront de se fournir auprès de leurs dealeurs habituels. Pour les petits trafiquants, la nouvelle législation présente d’ailleurs un certain avantage, dans la mesure où il est désormais légal de circuler en ayant sur soi 25 grammes de cannabis…
Un autre objectif affiché par le gouvernement est d’alléger le travail des policiers et des juges. Des décennies de prohibition et de répression n’ayant pas permis de faire baisser la consommation de cannabis, bien au contraire, à quoi bon continuer de demander à ces derniers d’appliquer une politique qui a échoué ? Le problème est que la mise en œuvre de la nouvelle loi se révèle d’ores et déjà un véritable casse-tête. Celle-ci dispose en effet qu’il est interdit de fumer du cannabis à proximité immédiate des mineurs, à moins de 100 mètres des établissements scolaires, des installations sportives et des aires de jeux pour enfants ainsi que dans les zones piétonnes entre 7 heures et 20 heures.
Contrairement à ce qui est proclamé, la légalisation ne signifie donc pas moins de règles, mais d’autres règles à faire respecter. Or, jusqu’à présent, les autorités n’en ont pas les moyens. D’abord pour des raisons juridiques, parce que la répartition des compétences entre polices municipales et polices régionales en matière de contrôle n’est pas claire et fait déjà l’objet de litiges entre les différents échelons dans plusieurs régions.
Ensuite pour des raisons matérielles, parce que la loi est entrée en vigueur avant même que les agents soient équipés de balances de pesage leur permettant de vérifier si les personnes interpellées respectent les quantités légales et de tests salivaires à destination des automobilistes. Concernant ces derniers, la loi n’a d’ailleurs rien clarifié, puisqu’une commission d’experts a été chargée de définir un nouveau seuil de tolérance : actuellement de 1 nanogramme de tétrahydrocannabinol (THC), principale composante du cannabis, par millilitre de sang, celui-ci pourrait passer à 3,5 nanogrammes par millilitre, mais rien n’est encore décidé.
Nouveaux litiges
Que des questions aussi importantes comme celle des moyens alloués à la police pour faire appliquer la loi ou celle du taux de THC autorisé au volant n’aient pas été réglées en amont peut étonner. Il est aussi surprenant de constater que, dans un pays comme l’Allemagne, les autorités judiciaires ne se soient pas davantage préparées à l’un des effets de la loi adoptée : le réexamen de quelque 200 000 dossiers de condamnation pouvant conduire à une amnistie partielle ou totale.
L’enjeu est considérable pour les tribunaux, qui se disent déjà submergés par l’ampleur de la tâche et se préparent à des mois difficiles, sans compter les nouveaux litiges qu’ils s’attendent à devoir régler en raison des complexités et des ambiguïtés de la nouvelle législation qui, d’après eux, entraînera une multiplication des plaintes…
En décidant de faire de l’Allemagne le troisième pays d’Europe légalisant le cannabis à des fins récréatives après Malte et le Luxembourg, le gouvernement d’Olaf Scholz savait qu’il se heurterait à de vives résistances. Mais force est de constater qu’en raison du contenu de son projet de loi, qui laisse beaucoup de questions sans réponses, et des conditions chaotiques dans lesquelles il l’a fait adopter, il ne s’est pas donné les moyens de le mettre en œuvre dans des conditions optimales.
Ainsi, même des Länder dirigés par les sociaux-démocrates, le parti du chancelier, se sont montrés très sceptiques pour ne pas dire franchement critiques, accusant le gouvernement fédéral d’avoir accouché d’un texte mal ficelé et surtout de l’avoir mis en œuvre de façon précipitée. Cela ne signifie pas qu’il ne finira pas par tenir ses promesses. Mais il est regrettable qu’une telle législation, dont l’ambition est de servir de « modèle pour l’Europe », comme l’avait revendiqué le ministre de la santé, Karl Lauterbach, lors de la présentation à la presse des grandes lignes de son projet de loi, en octobre 2022, n’ait pas fait l’objet d’une élaboration plus rigoureuse et soit mise en œuvre de façon si laborieuse.
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