« Pour moi, c’est un médicament, je n’ai jamais considéré le cannabis comme quelque chose de récréatif », explique sous couvert d’anonymat cette patiente résidant en Chartreuse, suivie par le centre antidouleur de l’hôpital de Voiron. Photo Le DL /Jean-Baptiste Bornier
La France deviendra-t-elle le 22 pays de l’Union européenne autorisant le cannabis thérapeutique ? L’expérimentation lancée en mars 2021 pour 3 000 patients semble, en attendant l’avis de la Haute autorité de santé sur la pérennisation du médicament, déjà porter ses fruits. À l’hôpital de Voiron, des personnes souffrant de douleurs neuropathiques réfractaires ont accepté de l’essayer ; quatre l’utilisent encore aujourd’hui. Témoignage de l’une d’entre eux.
Malgré l’agréable soleil baignant sa terrasse, et justement à cause de sa chaleur, Maëlle* se résout à rester à l’intérieur pour narrer son histoire, an d’échapper à la morsure de la douleur. Celle contre laquelle la Chartrousine se bat depuis qu’un accident du travail, en octobre 2017, a sectionné les nerfs collatéraux de son majeur droit, coincé dans une lourde porte d’un service de restauration. « Rien qu’un bout de doigt… Sauf que ça a changé ma vie », retrace-t-elle en décrivant « une sensation de brûlure, comme si j’avais un volcan dans le doigt ».
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Dans la foulée, elle est d’abord recousue – une cicatrice à peine visible huit ans après –, puis fait du « forcing » auprès de son médecin traitant pour que soit réexaminé ce doigt devenu objet de souffrance, avant que ne tombe, donc, le diagnostic. Une opération, en décembre à Grenoble, ainsi qu’on l’avait prévenue, ne change rien au niveau de la douleur. « Je n’avais plus la flexion du doigt, plus l’utilité de la main, et je ne supporte rien en contact avec elle. »
« J’étais au bout de ma vie, alternant illusion et désillusion »
La blessée vit donc des années durant avec une orthèse pour l’en protéger du moindre effleurement, devenue « hypersensible au chaud, au froid, à l’air, l’eau ». La manuelle, droitière, qu’elle était doit se recomposer un quotidien où toutes ses activités passées lui sont désormais inaccessibles, apprend à se servir de la main gauche, « encore aujourd’hui, je n’ai pas assez de force ». Et fait une croix sur son travail, un des piliers de sa vie avec « [sa] famille et [ses] chiens ». Elle a ainsi dû passer à la retraite pour invalidité en 2023 « après de multiples expertises ». La rééducation, le paracétamol, les opioïdes – comme la morphine – n’atténuent toujours pas sa douleur, « au point de m’empêcher de dormir, de me réveiller la nuit », raconte aujourd’hui la bientôt sexagénaire. Après sa rencontre en 2018 avec le Dr Mick, coordinateur du centre antidouleur de l’hôpital voironnais, « on a essayé plein de choses », comme les piqûres de kétamine, ou un traitement à base de capsaïcine, le principe actif extrait du piment rouge, ou encore des piqûres anesthésiantes. Seules ces dernières l’ont apaisée, « mais ça a duré deux mois » et une nouvelle tentative ensuite est restée vaine. « J’étais au bout de ma vie, alternant illusion et désillusion, le moral en a pris un coup », avoue Maëlle*.
« Je suis ensuquée, mais c’est le prix à payer pour avoir une vie »
Alors, quand a été lancée en France l’expérimentation du cannabis médical en mars 2021, la patiente accepte d’essayer, en juin, après en avoir parlé avec ses enfants et son mari : « C’est lui qui est impacté par tout ce que je ne peux plus faire… » Malgré ses craintes initiales à l’égard du médicament (« Pour moi, le CBD [un des principes actifs du cannabis], c’était une drogue, ce n’était pas bien, je pensais que j’allais devenir une camée »), elle s’est dit « si ça peut m’apporter un peu de bien-être… » Elle ne se sera pas trompée. Après six mois de tâtonnements de dosage, d’abord uniquement avec du CBD, du THC est inclus dans son traitement et, là, l’Iséroise retrouve « un semblant de vie ». Elle peut désormais faire des nuits de « 3 à 4 heures, c’est toujours ça de pris ». Et même si, la journée, « je suis au ralenti, ça me permet de faire des choses, la douleur descend à 6-7 au lieu de 9-10, qu’est-ce que ce serait sans ? »

Le médicament se présente sous forme d’huile, contenant du cannabidiol (CBD) et/ou du tétrahydrocannabinol (THC) – le cannabis à fumer est bien exclu du protocole. Illustration Le DL / JeanBaptiste Bornier
Si ses activités sont désormais « sélectives », Maëlle ne se verrait désormais pas revenir en arrière : « Même si j’ai besoin d’aide pour certaines choses, je peux refaire des repas, recommencer à avoir une vie normale sans la chape de douleur. Oui, je suis ensuquée [elle ne conduit évidemment plus, et n’en a d’ailleurs pas le droit], mais c’est le prix à payer pour avoir une vie. » Elle qui prend des gouttes d’huile matin et soir (« C’est dégueulasse, j’ai l’impression de boire du foin ! ») subit bien sûr des effets secondaires du cannabis : « Je suis au ralenti, parfois un peu nauséeuse… tant pis. On apprend à se contenter de très peu. Quelqu’un qui n’a pas mal ne peut pas imaginer ce qu’on est prêt à faire pour ne pas souffrir. » Alors, introduire le cannabis médical en France au-delà de l’expérimentation, la voilà aujourd’hui convaincue : « Qu’ils n’arrêtent pas ! Les gens qui prennent du cannabis thérapeutique, ce n’est pas pour le plaisir. Si vous parlez au ministre de la Santé, dites-lui que plein de gens comptent sur ça ! » Le cabinet de Yannick Neuder nous a malheureusement indiqué ne pas pouvoir donner suite à notre demande d’interview.
*Le prénom a été changé.
Je suis au ralenti, parfois un peu nauséeuse… tant pis. On apprend à se contenter de très peu. Quelqu’un qui n’a pas mal ne peut pas imaginer ce qu’on est prêt à faire pour ne pas souffrir. Une patiente Iséroise qui utilise le cannabis médical

Illustration Le DL / Jean-Baptiste Bornier

Le médicament se présente sous forme d’huile, contenant du cannabidiol (CBD) et/ou du tétrahydrocannabinol (THC) – le cannabis à fumer est bien exclu du protocole. Photo Le DL /Hélène Delarroqua
L’expérimentation prolongée jusqu’en mars 2026
Si l’expérimentation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis médical en France a été véritablement lancée en mars 2021, c’est dès octobre 2019 que l’Assemblée nationale l’approuvait, dans le cadre de l’examen du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2020. Initialement autorisée pour deux ans, elle a plusieurs fois été prolongée, d’abord jusqu’au 31 décembre 2024, puis jusqu’au 1 juillet 2025, et désormais jusqu’au 31 mars 2026, “dans l’attente de l’aboutissement des travaux permettant la généralisation du cannabis médical”, précise l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Le 20 mars dernier en effet, le ministère chargé de la Santé et de l’Accès aux soins annonçait que les textes définissant le cadre de production et d’autorisation du cannabis à usage médical ont été notifiés à la Commission européenne. “Cette notification ouvre une période de statu quo de trois mois durant laquelle la Commission et les États membres pourront examiner les textes et émettre des observations […] En parallèle, la Haute autorité de santé (HAS) a été saisie par le ministère an d’évaluer l’intérêt thérapeutique du cannabis médical. Son avis, attendu dans les prochains mois, déterminera si ces médicaments pourront être pris en charge par l’Assurance maladie et à quel taux”, indiquait l’ANSM dans la foulée.
Cinq indications thérapeutiques retenues
L’expérimentation concernait au départ plus de 3 000 patients en France, pour cinq situations pathologiques retenues par un comité scientifique : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non) ; certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes ; certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements ; des situations palliatives ; la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
Le médicament se présente sous forme d’huile, contenant du cannabidiol (CBD) et/ou du tétrahydrocannabinol (THC) – le cannabis à fumer est bien exclu du protocole -, délivrée sur ordonnance par les professionnels de santé sélectionnés pour cette expérimentation, les patients se fournissant auprès de pharmacies de ville ou d’hôpitaux là aussi agréés (les industriels produisant l’huile à partir du chanvre sont, eux, français et étrangers). La prescription est de 28 jours maximum, comme pour toutes les substances classées comme stupéfiants.
Source Le Dauphiné Libéré (article réservé aux abonné(e)s, offert par le CIRC)
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