Les commentaires qui ont suivi l’affaire Palmade montrent que des années de politique de prévention n’ont pas suffi. Les drogues sont inhérentes à notre société : il faut assumer de vouloir en réduire les risques car un usager de drogues qui ne se traite pas peut aussi devenir un risque pour le reste de la population.
Par Un collectif
Notre société n’est plus préparée à lutter correctement contre les addictions. L’a-t-elle jamais été ?L’accident tragique dans lequel est impliqué le comédien Pierre Palmade, au-delà du drame insondable pour les victimes, a ouvert le champ des commentaires et des remarques que nous n’aurions jamais imaginé entendre dans le débat public. Des années de politique de santé, d’information et de prévention n’ont pas été suffisantes. Ni pour sortir d’une approche purement sensationnaliste, encore moins pour aborder les causes profondes du drame.
Nous, acteurs publics, professionnels de santé, responsables associatifs ou usager.es de drogues, appelons par ce texte à une prise de conscience sur la question des addictions qui devraient devenir une priorité des politiques publiques.
Des hommes et femmes tels que Pierre Palmade, les professionnels de santé en prennent en charge régulièrement. Ils et elles sont dépendant.e.s à l’alcool, aux drogues illicites ou aux jeux, sont en difficulté avec leurs consommations. Mais le spectaculaire de leurs situations respectives ne doit pas faire oublier que l’addiction concerne tout le monde, depuis les jeunes skieurs qui dévalent les pentes «défoncés» à l’alcool aux centaines de milliers de personnes qui ne peuvent plus se passer de benzodiazépines pour dormir. Depuis 2017, la politique des drogues se brouille. Le mot d’ordre répressif prend une place exclusive dans le débat public et l’absence de perspective devient résignation de facto.
Un débat à la hauteur de la crise
Sans direction réelle, et faute de débat à la hauteur de la crise, la politique des addictions est de plus en plus à la peine. Elle se résume, ces dernières années, aux faits divers et aux complaintes de riverains qui partout sur le territoire se plaignent des risques que l’usage de drogues entraîne dans l’espace public.
L’absence d’action coordonnée et réelle de l’Etat se constate malheureusement dans l’augmentation des maladies liées aux drogues, des conduites problématiques et dans la multiplication de l’insécurité routière. Nous appelons à un sursaut : les objectifs de santé publique doivent être décidés par le ministère de la Santé et non par les ministères de l’Economie ou de l’Intérieur, même si ce dernier doit bien sûr continuer de travailler sur la répression des trafics. La Suisse a déjà réalisé ce changement il y a quarante ans, ce qui lui a permis de sortir des scènes ouvertes de drogues, de réinsérer celles et ceux qui étaient laissé.e.s pour compte et de rétablir la sécurité dans les quartiers.
Les drogues et les dépendances sont inhérentes à notre société : il faut vivre avec, assumer de vouloir en réduire les risques plutôt que de faire disparaître des usages qui continueront, qu’on le veuille ou non. Nous devons étudier la piste si souvent restée suspendue de la dépénalisation de l’usage des drogues. Elle permettrait plus de prévention et une meilleure prise en charge. Le succès du Portugal dans le domaine est flagrant (1).
Il faut sortir du stigmate et du tabou qui empêchent les personnes en situation d’addiction d’être prises en charge – ce que Palmade définissait comme la «maladie illégale». Un usager de drogues qui ne se traite pas ne se met pas seulement en danger, il peut devenir un risque pour le reste de la population.
Cette nouvelle politique devrait permettre de donner des outils aux proches et aux consommateurs eux-mêmes afin qu’ils puissent réduire les risques et prévenir les dommages. Nous connaissons toutes et tous des personnes concernées mais sommes souvent démuni.e.s. Une vraie politique d’information et d’éducation populaire devrait accompagner et non condamner (premiers secours addictions, renforcement des consultations jeunes consommateurs, ouvertures d’établissements de réduction de risques comme les Haltes Soins Addictions, etc.).
Des fonds pour prévenir et réduire les risques
Une telle politique a besoin de moyens. Commençons par allouer majoritairement les fonds de concours (issus des saisies de drogues) à la prévention et à la réduction des risques : actuellement, seulement 10 % d’entre eux seulement y sont dédiés. Mais il faudra aller plus loin et augmenter le budget soins, hébergement et réinsertion pour ne plus avoir aucun.e usager.e de drogues en consommation et en vie de rue.
Enfin, et avant tout, pour sortir de la voie sans issue dans laquelle est notre politique des drogues, un débat national type «CNR lutte contre les addictions» doit être mené d’urgence. Ce débat doit avoir lieu avec les acteurs de santé, les usager.es de drogues, les elu.es de terrain et les citoyen.nes. Les recommandations qui en seront issues doivent être discutées au parlement, puis suivies et exécutées par une agence nationale des addictions sous tutelle du ministère de la Santé. C’est à ce prix que nous établirons un nouveau contrat social autour de la lutte contre les addictions à la fois efficace, humaine et réaliste.
(1) Changement de la législation en 2001 avec des commissions de dissuasion qui évitent la pénalisation des usagers de drogues. Cela se traduit par une diminution drastique du nombre de consommateurs d’héroïne (division par deux en vingt ans, le taux de décès est cinq fois moins élevé que dans la moyenne européenne).
Signataires : William Lowenstein, président de SOS Addictions, coprésident du Groupe Santé Addictions, Anne Souyris, adjointe à la maire de Paris en charge de la santé, Marie-Josée Augé Caumon, cofondatrice de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine, coprésidente du Groupe santé addictions, Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Fred Bladou, activiste drogues et Sida, Florent Buffière, cofondateur de NORML France, Jean-Pierre Couteron, addictologue, Jean-Maxence Granier, président d’ASUD, Olivia Hicks, médecin addictologue, vice-présidente de L630, Caroline Janvier, députée du Loiret, rapporteure de la Commission des affaires sociales, Alain Morel, psychiatre addictologue et ancien directeur de l’association Oppelia, Fabrice Olivet, directeur d’ASUD, Catherine Pequart, psychiatre addictologue à Charonne Oppelia, Camille Spire, présidente d’Aides, Evelyne Renault-Tessier, médecin algologue à l’Institut Curie, Jean-Luc Romero-Michel, président d’Elus contre le Sida.