DOSSIER SPÉCIAL LÉGALISATION DU CANNABIS : POURQUOI LA FRANCE DOIT ROMPRE AVEC LA PROHIBITION
Introduction — Il est temps d’en finir avec une politique stérile
La prohibition du cannabis est une impasse. Ce n’est pas une opinion, c’est un constat partagé par un nombre croissant de chercheurs, d’économistes, d’élus de tous bords et d’observateurs de terrain. En dépit d’une politique répressive acharnée depuis plus de cinquante ans, la France est le pays d’Europe qui compte le plus de consommateurs de cannabis, notamment chez les jeunes. En criminalisant l’usage, on n’a ni tari l’offre, ni freiné la demande : on a seulement alimenté les trafics, surchargé les tribunaux, stigmatisé les usagers, et gaspillé des milliards d’euros en pure perte.
Dans ce dossier spécial, le CIRC (Collectif d’Information et de Recherche Cannabique) entend démontrer, preuves à l’appui, que la légalisation du cannabis n’est pas seulement une mesure de bon sens : elle est une urgence démocratique, sanitaire, économique et sociale.
Une manne fiscale colossale : 2,8 milliards d’euros au minimum
Selon une note du Conseil d’analyse économique rattaché à Matignon, la légalisation du cannabis pourrait rapporter au minimum 2,8 milliards d’euros par an à l’État. Cette estimation, prudente, repose sur des hypothèses conservatrices concernant la consommation nationale — et pourrait donc se révéler largement sous-évaluée. Pour comparaison, les recettes fiscales issues de la vente de tabac ont atteint 13 milliards d’euros en 2024. À l’échelle budgétaire, c’est loin d’être négligeable.
Cette somme comprend les taxes sur les ventes, la TVA, les prélèvements sur les entreprises du secteur, mais n’intègre pas les économies induites par la fin des politiques répressives. Moins de procédures judiciaires, moins d’incarcérations, moins de contrôles policiers chronophages… autant de ressources humaines et financières qui pourraient être redéployées vers la prévention, la santé publique, ou la lutte contre les vraies délinquances.
Un échec politique criant : la prohibition alimente le trafic
La politique française en matière de stupéfiants est fondée sur la loi de 1970, une loi d’exception, conçue à une époque où l’on croyait encore à la toute-puissance de la répression. Pourtant, plus de cinquante ans plus tard, le constat est sans appel : c’est un échec total.
La France dépense des centaines de millions d’euros chaque année pour traquer, contrôler, verbaliser, juger, incarcérer… sans aucun effet dissuasif. Bien au contraire, le cannabis n’a jamais été aussi accessible, ni aussi consommé. Pendant ce temps, les réseaux criminels prospèrent. La prohibition ne régule rien, elle offre un monopole au marché noir.
Des maires issus de la droite comme Arnaud Robinet (Reims) ou Frédéric Chéreau (Douai), des parlementaires de la majorité comme Caroline Janvier, ou encore des policiers, des gendarmes et même des juges en viennent à la même conclusion : la guerre contre le cannabis est perdue parce qu’elle ne devait jamais être gagnée.
Une opinion publique largement acquise à la cause
Longtemps tabou, le sujet de la légalisation est désormais dans le débat public. Plus de 50 % des Français y sont favorables, et ce chiffre ne cesse de croître. Près de 80 % estiment que la politique actuelle est inefficace. Les jeunes, notamment, ne comprennent plus pourquoi une plante moins dangereuse que l’alcool ou le tabac continue d’être traitée comme un fléau criminel.
Même au sein de la Macronie, des voix s’élèvent pour rompre avec l’orthodoxie sécuritaire. Caroline Janvier, députée LREM du Loiret, rapporteuse thématique du rapport parlementaire sur le cannabis récréatif, défend une légalisation encadrée. Romain Reda, un proche de Valérie Pécresse, partage ce diagnostic.
Si certains membres de l’exécutif restent figés dans une posture autoritaire, le mouvement des Jeunes avec Macron s’est officiellement prononcé en faveur de la légalisation. La société civile avance, l’opinion mûrit, seuls les dirigeants refusent encore de voir la réalité en face.
Lire sur le même sujet : Drogues : sortir de l’addiction et de la répression
Une opportunité pour une régulation intelligente
Légaliser, ce n’est pas libéraliser sans contrôle. C’est mettre fin à l’anarchie du marché noir pour instaurer un cadre clair, éthique, et démocratique. Cela signifie :
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Autoriser la production locale, avec des licences transparentes, pour favoriser les circuits courts et l’agriculture paysanne ;
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Créer des Cannabis Social Clubs ou des “cannabistrots”, lieux sûrs où consommer et échanger, loin des caves et des halls ;
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Permettre l’autoproduction à usage personnel, un droit fondamental à cultiver une plante pour soi-même, sans être assimilé à un trafiquant ;
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Former les professionnels de santé, les enseignants, les travailleurs sociaux à une approche de réduction des risques ;
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Protéger les mineurs en interdisant la vente aux moins de 18 ans et en menant de vraies campagnes d’éducation, non moralisatrices, mais fondées sur la connaissance et la confiance.
Un impératif de santé publique et de justice sociale
Aujourd’hui, le cannabis est plus accessible aux mineurs que les cigarettes. Dans les cités comme dans les campagnes, la prohibition crée un terrain fertile pour les trafics. Les jeunes y voient une voie de survie économique, quand bien même elle les conduit à la prison, voire au cimetière.
De plus, la répression frappe de manière discriminatoire. Les contrôles policiers ciblent prioritairement les jeunes hommes racisés des quartiers populaires. L’usage est massif dans toutes les classes sociales, mais la sanction ne l’est pas.
Par ailleurs, l’approche française continue de diaboliser les consommateurs au lieu de les accompagner. Comme le rappelle l’historienne Zoë Dubus, spécialiste des psychotropes, l’usage de substances psychoactives est aussi ancien que l’humanité. Le nier, c’est ignorer la réalité culturelle, sociale, anthropologique de leur consommation. La vraie question est : dans quelles conditions voulons-nous que les gens consomment — et à quel prix collectif refusons-nous qu’ils le fassent ?
Lire sur le même sujet : entretien avec Zoé Dubus, historienne de la médecine et spécialiste des drogues
Changer de paradigme : de la répression à la prévention
Nous devons, collectivement, passer d’une logique de guerre à une logique de soin, d’éducation, de responsabilisation. Dans tous les pays qui ont légalisé le cannabis (Canada, Uruguay, plusieurs États américains, Allemagne depuis 2024…), les résultats sont encourageants :
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Diminution du marché noir
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Stabilité, voire recul, de la consommation chez les jeunes
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Augmentation des consultations pour addiction (car le tabou tombe)
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Réduction des interpellations et du coût pour la justice
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Création d’emplois et de filières économiques pérennes
La France peut apprendre de ces expériences. Elle peut, elle aussi, bâtir un modèle français de légalisation, fondé sur la justice sociale, la santé publique, les libertés fondamentales, et la transparence démocratique.
Lire sur le même sujet : Cannabis: quelles stratégies de prévention ?
Conclusion — Légaliser, c’est désarmer les mafias. Dépénaliser, c’est libérer les citoyens. Réguler, c’est protéger les plus vulnérables.
Le temps de l’hypocrisie est révolu. Le cannabis est déjà dans nos rues, nos foyers, nos campagnes. Ce qui est en jeu, ce n’est pas sa disparition — impossible —, mais la manière dont notre société choisit de vivre avec. Nous avons tout à gagner à sortir de l’ombre : en termes économiques, humains, sociaux, environnementaux.
Le CIRC appelle à une légalisation immédiate, pragmatique et humaine du cannabis. Ce combat n’est pas celui d’une niche militante. C’est celui de toutes celles et ceux qui refusent qu’on sacrifie encore une génération au nom d’une illusion.
Ce dossier est à partager largement. Car faire tomber la prohibition commence par faire tomber les mensonges. 🌿
“Protéger les usagers, ce n’est pas les punir.”
“Cultiver la liberté, c’est aussi cultiver la vérité.”
— Le CIRC

Jean-Louis Arajol – Insécurité : Etat d’urgence – Manifeste pour une police républicaine
L’éclairage d’un ancien policier
Dans ce dossier consacré à la légalisation du cannabis en France, il nous semblait essentiel de donner la parole à celles et ceux qui, de l’intérieur, connaissent les rouages de la lutte contre les stupéfiants. Jean-Louis Arajol, ancien policier, livre ici une analyse lucide et implacable des conséquences de la prohibition sur le fonctionnement de la police, la justice et la société toute entière. Son constat est sans appel : la guerre contre la drogue, telle qu’elle est menée depuis des décennies, est non seulement inefficace, mais contre-productive. À travers chiffres, expériences de terrain et propositions concrètes, il appelle à sortir de l’impasse répressive pour enfin adopter une stratégie pragmatique, centrée sur la santé publique, la justice sociale et le bon sens.
🎤 Entretien avec Jean-Louis Arajol – Ancien Commandant de Police
Question du CIRC :
« La répression de l’usage de stupéfiants, notamment via l’amende forfaitaire et les politiques de ‘productivité’ imposées à la police, est-elle vraiment efficace dans la lutte contre les trafics et la criminalité ? Quelles en sont les conséquences sur les services et les citoyens ? »
Réponse de Jean-Louis Arajol :
Rappel sur deux ans :
Victimes d’homicides + 13 % (Marseille en 2023 : + 60 %, soit 400 homicides dans l’année)
Mise en cause pour usage de stupéfiants : + 56 %
70 % des activités criminelles sont liées au trafic de stupéfiants
Parmi mes propositions, figure l’abrogation des Lois sur la performance (2003 et 2011) qui transforment les policiers en machines à produire et les poussent à faire absolument « du chiffre ». La quantité du travail (productivité), source de tensions, est privilégiée au détriment de la qualité du travail fourni.
La « chasse » au fumeur de joint, outre les tensions et les incidents qu’elle induit, a le mérite pour le politique de gonfler les chiffres statistiques en sa faveur ; Lorsqu’un fumeur de joint est appréhendé le fait est évidemment « constaté » : pratique pour ne pas gonfler davantage le nombre de procédures en attente.
La « productivité » demandée aux policiers et la ligne ultra répressive à l’endroit des consommateurs (AFD) ou des petits dealers n’a qu’un effet : elle provoque la saturation des services dits « d’investigation ». Or, la Police nationale manque cruellement d’OPJ, les services croulent sous les procédures.
Près de trois mille procédures en moyenne par service. Soit trois mille victimes qui attendent, par manque de moyens des services publics Police/Justice, indéfiniment réparation, lorsqu’avec le temps, l’affaire n’est pas classée pour prescription.
Il manque environ 5 000 OPJ en France. Le ministère a annoncé 40 000 fonctionnaires exerçant dans le domaine de l’investigation. Faux : selon la Cour des comptes et les professionnels concernés, il n’y en a que 20 000 !
La récente réforme de la PJ de Darmanin a cassé la PJ pour tenter de pallier ce manque de moyens et d’effectifs. Le but étant comme à l’accoutumée de déshabiller Paul pour habiller Pierre, quitte à casser une direction centrale historique de la PJ qui, de récentes affaires criminelles l’attestent, fonctionne et nous est enviée par nos partenaires européens.
La lutte contre le narcotrafic en France
Depuis la loi du 31 décembre 1970, elle est axée exclusivement :
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sur le moralisme (Alain Peyrefitte et l’extrême droite allant même jusqu’à dire alors que l’homosexualité était la résultante de la consommation de drogue),
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et la répression du consommateur (amende forfaitaire délictuelle de 200 € minorée à 150 € en cas de paiement dans les quinze jours, et majorée à 450 € en l’absence de paiement total dans les 45 jours : les consommateurs les moins aisés paient donc plus que les plus aisés, quand le dealer du coin ne paie pas lui-même les amendes du consommateur et donc de son « client »).
Le seul chiffre de la délinquance qui n’augmente pas, ce sont les infractions liées au trafic de stupéfiants (+ 5 % entre 2021 et 2022 / 0 % entre 2022 et 2023).
Conclusion : les consommateurs paient. Les trafiquants, eux, se multiplient.
Pourquoi poursuivre une stratégie qui ne fonctionne pas ?
Cesser l’hypocrisie :
En France, la drogue a tué entre 2011 et 2021 : 4 460 personnes (80 % d’hommes âgés en moyenne de 37 ans, 627 décès en 2021 contre 280 en 2011).
L’alcool, lui, tue 49 000 personnes par an.
Le tabac, lui, tue 75 000 personnes par an (200 personnes par jour).
En Europe, le taux de décès lié à la toxicomanie est de 14,8 personnes par million.
Aux USA, l’exemple « illibéral » que nous copions, ce taux est de 216 personnes par million.
En 2022, le nombre de cocaïnomanes a doublé et le nombre de consommateurs de produits stupéfiants âgés entre 15 et 64 ans représente en France 45 % de la population contre 25 % en Europe et… 11 % au Portugal.
Question du CIRC :
« Quelles seraient, selon vous, des pistes de solution concrètes pour lutter efficacement contre les narco-trafics en France, tout en sortant d’une approche uniquement répressive ? »
Réponse de Jean-Louis Arajol :
Renforcer le Service Public, axer le travail des services spécialisés sur la grande criminalité et dépénaliser.
Renforcer les services spécialisés et réorienter les missions de ces derniers.
L’OFAST est structuré en trois pôles :
– un pôle opérationnel dirigé par un commissaire divisionnaire,
– un pôle stratégie dirigé par une administratrice des douanes,
– un pôle renseignement, dirigé par un colonel de gendarmerie.
L’OFAST travaille en étroite relation avec la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) et les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), dans le cadre de saisines conjointes avec les services territoriaux de la police ou de la gendarmerie.
Né le 1er janvier 2020, l’OFAST s’appuie sur plus de 200 agents issus de la police judiciaire, de la douane, de la gendarmerie, du ministère de la Justice et même des Finances publiques.
Il dispose d’un réseau de 14 antennes et 10 détachements en France, et d’un maillage de cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) dans chaque département.
L’OFAST est implanté aux Antilles françaises, au Fort Saint-Louis à Fort-de-France en Martinique, avec des antennes en Guadeloupe et à Saint-Martin (60 à 70 enquêteurs pour la zone Caraïbes).
Les CROSS (Cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants / environ 104) :
Depuis 2015, des expérimentations menées à Marseille ont permis une augmentation de 15 % du nombre de trafiquants écroués dans l’agglomération marseillaise.
Impliquer dans chaque CROSS des personnels de la gendarmerie et des douanes, et permettre à d’autres acteurs, comme la police municipale et les bailleurs sociaux (Comités Consultatifs de Citoyens), de partager leurs informations issues du terrain avec les CROSS.
Dépénaliser : L’exemple du Portugal
Premier pays à avoir dépénalisé l’usage de stupéfiants en 2001.
Résultat :
– 5 fois moins d’héroïnomanes,
– baisse des infections au VIH,
– taux de décès inférieur à la moyenne européenne.
Au Portugal, une approche sanitaire et répressive, avec trois mécanismes essentiels :
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Commission de dissuasion contre la toxicomanie
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Service d’Intervention en matière de conduites addictives et de dépendances
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Bureaux d’accueil H24
Coût de ce dispositif : 15,7 millions d’euros !
En France, le trafic de drogue, dont le coût est pris en compte par l’INSEE, génère un bénéfice de 3,5 milliards par an !
À la suite :
– d’un appel de plusieurs élus de toutes obédiences (exception faite du RN),
– et d’un autre rapport d’experts, de cliniciens, de scientifiques, en date du 17/11/2023,
👉 Le projet de Loi de financement de la sécurité sociale a adopté la légalisation du cannabis thérapeutique.
➡️ À ce jour : toujours pas de décrets d’application.
Proposition de Loi de Madame SOUYRIS (sénateur écologiste), 27 janvier 2025, sur la dépénalisation de l’usage des drogues.
Légalisation du cannabis, abandon du LBD, dissolution de la BRAV-M… Les propositions de Jean Louis Arajol ancien policier, dont le livre INSÉCURITÉ : État d’Urgence – Manifeste pour une police républicaine est sorti le 31 mars !
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