Publié le 10 Septembre 2020 | Par Julien Rapegno
Malgré un inespéré consensus scientifique, le décret d’application autorisant l’expérimentation du cannabis à usage médical tarde à être promulgué. Les patients confrontés à des douleurs chroniques se désespèrent. Certains malades d’âge mûr n’auraient jamais cru qu’ils devraient un jour se débrouiller pour « trouver de l’herbe ».
« L’accès à des médicaments dérivés du cannabis a été jugé pertinent dès décembre 2018 », rappelle une tribune publiée par Le Parisien le 9 septembre et signée par 51 médecins et représentants des associations de patients.Validée au plan législatif il y a un an, l’expérimentation du cannabis à usage médical attend son décret d’application. Les patients s’impatientent et les médecins mettent en doute une volonté politique pourtant affichée au plus haut sommet de l’État.
Le cannabis est aujourd’hui consommé clandestinement par les patients atteints de sclérose en plaque, de lésions médullaires, d’épilepsies résistantes, de complications liées aux cancers et aux chimiothérapies et de patients en situation palliative.
Les professionnels de santé manient d’autres médicaments stupéfiants… plus dangereux
Comme le souligne la tribune, cette expérimentation « n’a rien d’exceptionnelle pour des professionnels de santé qui manient d’autres médicaments stupéfiants au quotidien, dont certains plus à risque de dépendance, voire de surdose ».
Ce lobbying médiatique a peut-être atteint son but.Contactée par l’AFP, la Direction générale de la santé assure que le décret devrait être publié en septembre et que le Conseil d’État vient d’être saisi pour validation : « le début de l’expérimentation est toujours prévu en janvier », assure la DGS.
Le Pr Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand, préside le comité scientifique chargé par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) de superviser l’expérimentation du cannabis à usage médical: « Quatre mois, c’est trop court pour lancer l’appel d’offres et sélectionner les fournisseurs étrangers ».
« La douleur, ça rend fou »
Mado Gilanton, 66 ans, est l’une des signataires de la tribune en faveur du cannabis médical. Cette retraitée domiciliée près de Nantes souffre de syringomyélie et d’une malformation de Chiari, maladies du système nerveux et de la moelle épinière. Elle préside l’association Apaiser qui représente 7.000 patients.
Mado Gilanton est l’une des « 6 millions de Français », estime-t-elle, qui souffrent de douleurs neuropathiques.
« On ressent des décharges électriques qui résistent à tous les traitements, y compris les morphiniques. On a des sensations de brûlure. Tous les matins vous avez l’impression que vous allez sauter dans un champ d’orties. On a des céphalées très importantes et puis des spasmes. C’est le lot de tous les lésés médullaires »
Comme la plupart de ses compagnons d’infortune, Mado Gilanton s’est fait prescrire des opiacées : « La douleur, ça rend fou. Quand vous n’arrivez pas à la calmer, vous ne contrôlez plus les doses ».
C’est en la voyant perpétuellement réfugiée dans « une position fœtale » que ses proches ont proposé à Mado d’essayer le cannabis.
« Il y a cinq ans, ils m’ont donné un joint. Je n’avais jamais fumé de ma vie. J’ai eu un soulagement immédiat. Ça ne m’était pas arrivé depuis plusieurs années. Je ne savais plus ce que c’était de ne plus avoir un corps douloureux ».
La retraitée n’est pas devenue pour autant une adepte du « pétard » : «Je n’avais pas envie de me mettre à fumer et j’avais une mauvaise image du cannabis. J’ai cherché sur internet et je suis tombé sur la solution de la décoction ».
Le message, c’est : allez cherchez du cannabis dans la rue !
Pas exactement une tisane car l’herbe infuse dans du lait, mais le remède opère : « Si j’ai mal, j’en prends juste le soir et ça me soulage pour plusieurs semaines. Je ne connais pas de patient qui utilise le cannabis plus d’une fois par jour ».
Pour la présidente d’Apaiser, le système D a ses limites : « Je demande à mon entourage de me procurer du cannabis. Mes enfants sont adultes et savent m’en trouver même s’ils n’en consomment pas mais ce n’est pas satisfaisant ».
Elle cite le cas d’un « monsieur de 87 ans qui me demande où en trouver. Je sais que ce monsieur il va demander à ses petits-enfants, mineurs… Le message, c’est : allez cherchez du cannabis dans la rue ! […] Dans notre association, nous avons pas mal d’adhérents qui se mettent à la culture, mais on a un membre qui s’est fait dénoncer par un voisin ». La moyenne d’âge des patients qui pourraient soulager leurs maux grâce au cannabis est supérieure à 60 ans : « Ce n’est pas un âge pour se lancer dans la délinquance ! », tranche Mado Gilanton.