Le maire de Londres, Sadiq Khan, vient de franchir une étape significative en appelant à la dépénalisation partielle de la possession de cannabis, s’appuyant sur un rapport indépendant de la London Drugs Commission. Ce rapport – fruit d’un an de travail en collaboration avec des universitaires, des juristes, des experts de santé publique et plus de 200 spécialistes – est sans ambiguïté : le système actuel de pénalisation de l’usage personnel de cannabis cause plus de tort que le cannabis lui-même.
Ce constat lucide fait écho à ce que les usagers, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux, et bien sûr, les militants du CIRC dénoncent depuis des décennies : la prohibition est inefficace, coûteuse, discriminatoire et profondément injuste.
Un constat partagé… sauf en France
Alors que Londres reconnaît les conséquences délétères de la criminalisation, en particulier sur les communautés noires affectées de manière disproportionnée par les contrôles policiers, la France s’enfonce dans un modèle répressif archaïque. Pire encore : alors même que les constats sont similaires – explosion des interpellations pour usage simple, impact social majeur, absence d’effet dissuasif –notre pays choisit d’intensifier la répression via l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), celle-ci n’est que l’un des nombreux leviers désormais mobilisés contre les usagers de cannabis. Depuis sa généralisation en 2020, l’AFD – 200 euros pour simple usage, 450 en cas de majoration – a été infligée à plus de 350 000 personnes. Loin de “désengorger” la justice comme promis, elle a industrialisé la répression, ciblant massivement les jeunes, les quartiers populaires et les personnes précaires.
Mais l’offensive ne s’arrête pas là. Depuis l’arrivée du tandem Gérald Darmanin / Bruno Retailleau à la manœuvre sécuritaire, une série de propositions et de lois visent à durcir encore l’arsenal contre les consommateurs. En 2025, plusieurs sénateurs Les Républicains (mais aussi des Socialistes) ont ainsi proposé des sanctions supplémentaires démesurées, notamment :
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La confiscation systématique du téléphone portable en cas d’usage de stupéfiants, au nom d’une prétendue lutte contre les “réseaux”.
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La suspension ou la suppression d’allocations sociales, criminalisant la pauvreté au lieu d’agir sur les causes des usages problématiques.
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L’expulsion du logement social pour les locataires surpris en train de consommer chez eux, au mépris du droit au logement et de toute logique de proportionnalité.
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L’augmentation envisagée du montant de l’AFD, pour en faire un outil “dissuasif” alors qu’elle frappe déjà les plus précaires.
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L’instauration de fichiers et de sanctions automatiques, sans audience, sans contradictoire, sans recours véritable.
Cette inflation punitive, que rien ne justifie scientifiquement, est le fruit d’une obsession sécuritaire qui instrumentalise les usagers comme boucs émissaires d’un échec politique : celui de la prohibition. Elle repose sur un discours anxiogène, fondé sur des amalgames, qui stigmatise les consommateurs en les rendant responsables de l’insécurité et du trafic, alors même qu’ils en sont souvent les premières victimes.
Le rapport britannique note que classer le cannabis comme substance de catégorie B est “disproportionné par rapport aux risques réels”, et que les peines infligées aux simples usagers ne peuvent être justifiées face aux conséquences durables de la stigmatisation pénale. En France, nous sommes confrontés à la même incohérence, mais refusons obstinément d’en tirer les conséquences.
Usagers ciblés, trafics prospères
Comme dans d’autres pays prohibitionnistes, la France concentre ses efforts sur les usagers plutôt que sur les réseaux de trafiquants. Loin d’affaiblir le marché noir, cette stratégie le renforce : criminaliser les consommateurs alimente le cycle du trafic sans jamais l’ébranler. Pendant ce temps, les populations précaires et racisées continuent de faire les frais d’un acharnement judiciaire et policier indigne d’un État de droit.
En France, il est aujourd’hui plus simple de recevoir une amende ou d’être fiché pour un joint que d’obtenir un accompagnement, une information fiable ou un accès aux soins. Voilà la réalité absurde et brutale de notre politique des drogues.
Le rapport britannique insiste : la réponse pénale doit cibler les producteurs et revendeurs, et non les consommateurs. Une évidence à Londres, une hérésie à Paris.
Une vision dépassée de la santé publique
Sadiq Khan, sans tomber dans l’appel à la légalisation immédiate, admet néanmoins la nécessité d’un “reset fondamental”. Il appelle à des politiques d’éducation crédibles, à un meilleur accompagnement des usages problématiques, et à une approche enfin centrée sur la santé, la prévention et le soutien, plutôt que la sanction.
En France, l’éducation au cannabis reste caricaturale, moralisatrice, et peu crédible pour la jeunesse. L’idée même de réduction des risques demeure taboue quand il s’agit de cannabis. L’information est biaisée, l’accès aux soins insuffisant, et les discours officiels confondent usage et déviance.
Le CIRC appelle à un sursaut
Face à ce constat international de plus en plus partagé, le silence politique français est assourdissant. Là où d’autres prennent acte de l’échec de la prohibition, la France s’arc-boute sur un modèle inefficace et criminogène, incapable de protéger les plus vulnérables, d’assurer la sécurité publique ou de répondre aux enjeux de santé.
Le CIRC appelle les autorités françaises à s’inspirer du pragmatisme londonien. Sans nécessairement calquer les propositions britanniques, il est temps de rompre avec l’aveuglement idéologique et d’engager un débat fondé sur les faits, la science et le respect des libertés fondamentales.
Dépénaliser et légaliser l’usage personnel de cannabis ne signifie pas le promouvoir, mais enfin reconnaître que la répression est une impasse. Et qu’elle fait, chaque jour, bien plus de mal que le cannabis lui-même.
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