L’usage du cannabis médical et celui du cannabidiol, qui est en vente libre, sont des sujets très débattus. Éclairage avec le Dr Nathalie Patte-Karsenti, neurologue, Unité Parkinson, hôpital Fondation Rothschild, Paris XIXe, coauteur du «Livre (très sérieux) du cannabis», éd. Jouvence.
Paris Match. Rappelez-nous ce qu’est le cannabis?
Dr Nathalie Patte-Karsenti. Le cannabis est issu du chanvre. Les vertus thérapeutiques de cette plante sont connues depuis l’âge de pierre. Ses vertus psychotropes aussi : elle fut utilisée par les chamans pour entrer en transe et sous le nom de haschisch par des guerriers sanguinaires de l’Iran du Moyen Âge nommés haschichins (d’où viendrait le mot assassin). Parmi ses nombreux composants (plus de 400), deux surtout sont à considérer. 1. Le tétrahydrocannabinol (THC), qui a des effets sur le psychisme. Il modifie l’humeur, les perceptions et le comportement à travers de nombreux récepteurs cannabinoïdes présents dans le cerveau. Il module la sécrétion de dopamine, neurotransmetteur du plaisir. 2. Le cannabidiol (CBD), qui n’est pas psychotrope et pour lequel aucune cible cellulaire n’a pour l’instant été identifiée. Le THC a des effets thérapeutiques confirmés, notamment relaxants et antalgiques.
Quels sont en France les espaces d’autorisation de l’un et de l’autre?
Sous sa forme illégale (résine, feuilles, fleur, etc.), le cannabis est le stupéfiant le plus consommé en France: on lui attribue cinq millions d’usagers dont un tiers sont des consommateurs réguliers et 900000 des consommateurs quotidiens! Il n’a pas que des effets relaxants et planants, il a aussi une action négative sur la connexion neuronale et la construction du cerveau; il est très nuisible chez les sujets jeunes (adolescents inclus), en phase de développement cérébral. Il affecte la mémoire à court terme (dite “du travail”), la motivation, la perception du danger (accidentologie routière élevée), la concentration et, au long cours, le quotient intellectuel. De surcroît, il nuit au système cardio-vasculaire (augmentation de la pression artérielle, du risque d’arythmie cardiaque et d’inflammation des vaisseaux). Depuis 2011, la loi autorise la commercialisation de cannabis sous forme de CBD, avec un taux de THC très faible.
Une étude initiée par notre agence du médicament (ANSM) sur le cannabis est en cours
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Sur le plan médical, quelles sont les utilisations permises?
Sont utilisés sur prescription médicale : le THC de synthèse seul, en milieu hospitalier, de façon nominative et sur autorisation temporaire d’utilisation (ATU), en cas de douleurs neuropathiques (lésion d’un nerf ou de la moelle ou du cerveau) ne répondant pas aux autres traitements. Ou bien un mélange THC-CBD à parts égales autorisé mais non remboursé, en traitement d’appoint chez les personnes souffrant de sclérose en plaques et ayant des troubles spastiques (raideurs douloureuses). Le CBD seul n’a qu’une indication, le traitement préventif des crises dans certaines épilepsies rares et graves de l’enfant, en association avec des médicaments antiépileptiques dont il semble favoriser l’action. Une étude initiée par notre agence du médicament (ANSM) sur plus de 3000 participants, pour l’évaluation du cannabis dans tous ces domaines, est en cours. Peut-être permettra-t-elle de mieux apprécier l’efficacité de ces deux composants.
Le marché du CBD, en vente libre, a explosé dans notre pays
Votre avis sur le CBD?
Le marché du CBD, substance non addictogène, sans effet psychique et qui est en vente libre, a explosé dans notre pays. L’ignorance de son mode d’action précis doit inciter à la prudence. Diverses études sur les huiles de CBD, formes les plus vendues, ont révélé des compositions différentes de celles indiquées sur les notices avec parfois des taux de THC supérieurs à ceux autorisés. Il paraît donc souhaitable, voire urgent, de mieux connaître et de contrôler ces produits pour qu’ils soient utilisés en toute sécurité.