Publié le 17 Août 2020 | par Justine Chevalier
C’était le 13 août, la dernière saisie connue à ce jour. La police retrouvait 18 pieds de cannabis dans une piscine privée à Saint-Yrieix-sur-Charente, en Charente. Deux jours plus tôt, ce sont les gendarmes du Gers qui découvraient chez un couple plus de 200 pieds à son domicile à Riscle. Sept jours plus tôt encore, 26 plants étaient saisis et détruits chez un particulier d’Audeville, dans le Loiret. La liste de ces découvertes st encore longue.
L’autoculture d’herbe de cannabis connaît un essor important, au point que certains en ont fait un business. Selon le Baromètre santé 2017 de Santé publique France, cité par Le Figaro, 7% des consommateurs de cannabis disent avoir déjà eu recours à l’autoculture, ce qui représente entre 150.000 et 200.000 personnes.
Le nombre de saisies de plants a d’ailleurs augmenté passant de 126.000 en 2016 à 136.000 en 2017. Près de 30 tonnes d’herbe ont par ailleurs été confisquées cette année-là, contre 18 l’année précédente.
« Beaucoup de remontées du terrain font état de nouveaux venus dans la production à domicile, note Victor Martin, chargé de projet réduction des risques à l’association marseille Plus belle la nuit. Pour certains, le confinement a été un élément déclencheur. Avec la pénurie s’est posé la question de l’autoproduction avec une logique de recherche de qualité, de savoir ce que le consommateur consomme. Finalement dans la même logique que de produire ses tomates sur son balcon. »
Un produit avec une apparence « plus saine »
Depuis deux ou trois ans, les autorités constatent un engouement pour la consommation du cannabis sous forme d’herbe. Une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies datant de février 2018 révélait que deux tiers des adolescents de 17 ans interrogés privilégiaient la consommation du cannabis sous forme d’herbe plutôt que sous forme de résine.
« Le consommateur est plus attiré par ce produit car l’herbe a une apparence plus naturelle, plus saine, ce n’est pas un produit transformé », note Samuel Simon-Vuelta, le patron de l’office anti-stupéfiant (Ofast).
Outre une culture de quelques plants à domicile pour une consommation personnelle ou une culture plus importante pour arrondir les fins de mois, le crime organisé s’est lui-aussi très vite emparé du marché juteux de l’herbe de cannabis: la production de 1000 plants peut rapporter au moins 740.000 euros par an.
De plus en plus, les groupes criminels s’orientent vers la culture indoor à haut rendement de plants de cannabis, moins coûteuse que pour la résine, en terme de production et de conditionnement, et qui permet de répondre à une demande de plus en plus importante.
Le Nord particulièrement concerné
Le phénomène est déjà connu depuis environ cinq ans en Espagne où les réseaux criminels polonais, lituaniens, serbe ou encore chinois se sont spécialisés dans la production intensive d’herbe. Des groupes qui inondent le marché local mais aussi les voisins européens, au deux tiers à destination de la France. Rien que pour l’année 2020, où l’activité des trafics a été fortement ralentie avec la période de confinement, les douanes et forces de l’ordre françaises ont saisi 10 tonnes d’herbe de cannabis dans des camions en provenance d’Espagne.
En France, les groupes criminels implantés dans certains quartiers s’adaptent eux-aussi à cette nouvelle demande, plus rentable que la résine de cannabis qui nécessite une transformation avant d’être vendue. En novembre 2019, l’antenne Nord de l’office anti-stupéfiant et la police judiciaire de Lille démantelaient deux fermes à cannabis, l’une de 2500 pieds, l’autre de 8000 pieds dans un entrepôt de Roubaix. En juin dernier, ce sont 500 plants qui étaient saisis à Maubeuge, deux personnes étaient interpellées.
« Au plus près des consommateurs »
Les deux services de police sont particulièrement sollicités sur ce type d’affaires alors que la proximité avec la Belgique et les Pays-Bas, où des magasins légaux vendent des graines et du matériel de production, favorise ce type de culture.
« Aujourd’hui, les productions d’herbe de cannabis sont de plus en plus présente en zone urbaine, constate Samuel Vuelta-Simon. Cela permet aux groupes criminels d’être au plus près des consommateurs. » Le Nord permet ainsi de fournir le marché local et le marché parisien.
La période de confinement a permis de confirmer que la production locale de cannabis dans des bâtiments « est une activité en essor », confirme le patron de l’Ofast.
« Les groupes criminels se sont réorientés sur une culture indoor, avec un avantage certain. Produire au plus près des zones de consommation permet de diminuer les risques d’entrave de la distribution par les services de police ou de gendarmerie, poursuit Samuel Vuelta-Simon. Cela permet également aux trafiquants de diminuer les coûts de logistique liés au transport de la marchandise. La rentabilité n’en est que plus grande. »
Preuve que le cannabis sous forme d’herbe est particulièrement attractif: alors que le prix du gramme de résine a dû mal à atteindre son niveau d’avant-confinement, celui de l’herbe est resté stable tout au long de cette période. Pourtant, à rebours de son image de « produit pur », l’herbe de cannabis est souvent issue de plants génétiquement modifiés.