Au Chili, des mères de famille cultivent du cannabis à domicile pour soulager leurs enfants atteints de diverses pathologies, comme l’épilepsie réfractaire ou le cancer, faute d’avoir trouvé des traitements efficaces à travers la médecine traditionnelle. Mais elles regrettent le fait que cette pratique reste « stigmatisée et criminalisée », bien que l’usage du cannabis à des fins médicales soit théoriquement autorisé dans le pays.
Ces femmes sont regroupées au sein de la fondation « Mamá Cultiva », créée en 2012. Sa fondatrice, Paulina Bobadilla, a une petite fille atteinte de sclérose tubéreuse de Bourneville, une maladie génétique caractérisée par le développement de tumeurs bénignes dans différents organes, dont l’un des symptômes est l’épilepsie. Sa fille est ainsi atteinte d’épilepsie réfractaire, c’est-à-dire résistante aux médicaments antiépileptiques.
« Pendant cinq ans, j’ai suivi à la lettre ce que disaient les médecins, et il n’y a jamais eu d’amélioration »
Paulina Bobadilla explique pourquoi elle a commencé à administrer du cannabis à sa fille :
Avant, elle prenait six médicaments anti-convulsivants par jour, dosés au maximum, mais elle continuait à avoir des crises d’épilepsie toute la journée, et les effets secondaires étaient très nombreux : elle avait des troubles oculaires, des problèmes d’irritabilité, elle se frappait et elle arrachait ses cheveux et ses ongles, sans rien sentir… Pendant cinq ans, j’ai suivi à la lettre ce que disaient les médecins, et il n’y a jamais eu d’amélioration. En plus, ces médicaments nous revenaient à 600 000 pesos par mois [soit 667 euros, alors que le salaire minimum chilien est de 356 euros, NDLR], et ils n’étaient pas remboursés.
Un jour, j’ai vu un reportage sur une fillette aux États-Unis semblable à la mienne, et qui avait commencé à suivre un traitement à base de cannabis. Du coup, nous nous sommes dit que c’était le chemin à suivre, et nous avons commencé à en parler à des médecins. Mais tous nous ont découragés, en nous disant que c’était de la « folie » de vouloir administrer du cannabis à une enfant, etc.
Cela dit, comme nous étions désespérés et qu’il n’y avait rien à perdre, nous avons quand même essayé, avec du cannabis sous forme d’huile acheté à un vendeur de rue. Au bout d’une semaine, ses crises d’épilepsie et d’irritabilité ont diminué de façon notable. Du coup, nous avons commencé à cultiver du cannabis.
Actuellement, nous cultivons du cannabis de différentes souches : certaines ont une forte concentration en THC, d’autres en CBD… [Ce sont des cannabinoïdes, c’est-à-dire des substances chimiques présentes dans la plante. Le premier a des effets psychotropes, contrairement au second, NDLR.] À partir de cela, nous fabriquons de la résine, et nous lui administrons des gouttes de cette résine dans la bouche. Une goutte contient 1 mg de THC et 0,45 mg de CBD. Mais nous avons essayé différentes combinaisons.
Bien sûr, cela ne va pas lui permettre de guérir de sa maladie. Mais désormais, elle ne fait plus qu’une crise d’épilepsie par semaine, elle peut parler avec nous et vivre normalement, ce qui est inestimable. Le cannabis a complètement changé sa vie et la nôtre.
Cela dit, elle continue d’être suivie par des médecins et nous n’avons pas complètement abandonné les thérapies traditionnelles : simplement, nous les complétons avec le cannabis. Et actuellement, nous ne dépensons plus que 50 000 pesos [soit 56 euros, NDLR] en médicaments traditionnels, dosés au minimum, tous les mois.
Au tout début de « Mamá Cultiva », nous n’étions que neuf familles, réunies dans un groupe WhatsApp. Aujourd’hui, la fondation regroupe plus de 8000 familles. Nous faisons la promotion de la plante complète, à partir de laquelle nous fabriquons des huiles, de la résine, des pommades, des boissons, des biscuits… Nous militons pour qu’il y ait un accès démocratique au cannabis médical, en faisant du lobbying auprès des législateurs et des médecins. Nous organisons aussi des ateliers pour apprendre aux familles à cultiver le cannabis et pour les informer de leurs droits, avec des avocats. Avec la pandémie, nous avons essayé de continuer certaines activités à travers les plateformes virtuelles.
La culture de cannabis médical, théoriquement autorisée
Selon la loi 20.000 de 2005, la consommation de drogues est dépénalisée au Chili. En revanche, le fait d’en cultiver ou d’en extraire des substances est considéré comme un délit, passible d’une peine de prison.
La loi prévoit cependant des exceptions concernant les usages médicaux : posséder de petites quantités de drogues est ainsi considéré comme un délit, sauf s’il est possible de justifier qu’elles sont destinées à un traitement médical. De même, le fait de cultiver du cannabis est un délit, sauf si l’on peut justifier qu’il est destiné à un usage personnel, dans un temps proche (ce qui inclut l’usage thérapeutique). Enfin, il est prévu que le fait de consommer et de détenir des drogues dans le cadre d’un traitement médical est « justifié ».
La loi dépénalise la consommation de drogues, mais elle ne la légalise pas pour autant, donc elle est ambigüe. Par ailleurs, même si elle protège théoriquement les consommateurs et producteurs de cannabis médical, son interprétation dépend des procureurs et des policiers. [Ces derniers saisissent souvent les plants de cannabis des personnes qui les cultivent, le temps de vérifier s’ils sont réellement destinés à un usage médical, NDLR.]
Depuis le retour de Sebastián Piñera à la présidence du Chili en 2018, il existe ainsi une politique très dure à l’égard des drogues. Les familles cultivatrices sont stigmatisées et criminalisées : on nous dit que nous n’avons pas cherché toute les solutions possibles avant de recourir au cannabis, l’industrie pharmaceutique nous critique, il y a des arrestations et des perquisitions… Rien que depuis le début de la pandémie, nous avons répertorié 58 perquisitions chez des familles cultivatrices.
Source : Observers.france24.com