Posséder du cannabis en prison : un droit légal en Allemagne selon le Kammergericht de Berlin
Une décision juridique inédite vient de faire date en Allemagne : selon le Kammergericht (KG) de Berlin, les personnes incarcérées peuvent légalement posséder jusqu’à 50 grammes de cannabis dans leur cellule, dans le cadre de la nouvelle législation partielle sur la légalisation du cannabis (Konsumcannabisgesetz – KCanG).
La question peut paraître insolite au premier abord : un détenu a-t-il le droit de conserver du cannabis dans sa cellule ? C’est pourtant exactement ce qu’a tranché le KG dans une décision du 28 mai 2025 (Az. 5 ORs 17/25 – 121 SRs 31/25), en confirmant un jugement rendu plus tôt par le tribunal d’instance (Amtsgericht) de Berlin-Tiergarten. Et ce jugement pourrait bien avoir des répercussions durables, tant sur le plan juridique que politique.
Le cas concret : 45 grammes de résine de cannabis retrouvés en cellule
L’affaire concerne un homme incarcéré depuis septembre 2023, purgeant une peine de deux ans et trois mois de prison. En avril 2024, lors d’une fouille, 45,06 grammes de résine de cannabis ont été découverts dans sa cellule. La quantité de THC active était de 13,64 grammes. Le détenu a expliqué qu’il s’agissait de sa consommation personnelle. Poursuivi à nouveau pour détention de stupéfiants, il a été relaxé : le tribunal a estimé qu’il s’agissait d’un « possession autorisée », conformément à l’article 3, alinéa 2, phrase 1, point 1 du KCanG, qui autorise le stockage de cannabis jusqu’à 50 g au lieu de « résidence habituelle » de l’individu.
Le cœur du débat : la prison peut-elle être un « lieu de résidence habituel » ?
Toute la question juridique repose sur l’interprétation du terme « gewöhnlicher Aufenthalt », soit le lieu de résidence habituel, notion définie par l’article 1, point 17 du KCanG. Celle-ci stipule qu’un tel lieu est un endroit où une personne réside de manière non provisoire pendant une période ininterrompue d’au moins six mois.
Le tribunal a logiquement déduit que le lieu d’incarcération – même s’il est imposé – devient un lieu de résidence habituel dès lors que la détention dépasse six mois. En d’autres termes, la cellule devient juridiquement un domicile, et la détention d’une certaine quantité de cannabis y est donc légalement possible.
La position du parquet : une interprétation trop large de la loi
Le parquet n’a pas été convaincu et a fait appel devant la plus haute juridiction locale, arguant que le législateur n’avait pas envisagé une telle possibilité. Selon lui, la finalité du KCanG vise le cadre privé, familial, pas le milieu carcéral. Il a également invoqué la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires, craignant une dérive incontrôlable si les détenus pouvaient posséder légalement du cannabis en cellule.
Mais le Kammergericht a rejeté cette interprétation, en soulignant un point crucial : les notions de sécurité et de discipline carcérales ne sont pas évoquées dans le KCanG pour restreindre le droit de possession. Ce ne sont donc pas des critères valables pour en restreindre l’application.
Une légalisation qui ne signifie pas un droit à consommer
Attention : si le droit de posséder jusqu’à 50 grammes est reconnu, cela ne signifie pas pour autant que les détenus peuvent librement consommer du cannabis. Le KG précise clairement que les directions d’établissement restent souveraines pour interdire le consommation de cannabis à l’intérieur de la prison, pour des raisons de sécurité, d’ordre ou de discipline.
Le cannabis pourra donc être confisqué ou les détenus sanctionnés s’ils en font usage, même si leur possession était initialement légale.
Et l’autoproduction en cellule ? Une zone grise juridique
Un point reste encore flou : qu’en est-il de l’autoproduction ? Le Kammergericht n’a pas tranché cette question. L’article 9 du KCanG précise que l’autoproduction est autorisée dans des « espaces à usage résidentiel privé », mais n’indique pas clairement si cela inclut ou exclut les cellules de prison.
Ce point devra être précisé ultérieurement par d’autres décisions judiciaires ou par une clarification législative. Car cultiver une plante dans sa cellule, même pour usage personnel, reste aujourd’hui à la frontière entre tolérance et infraction.
Un précédent important, un signal politique fort
Cette décision constitue un précédent fort dans l’interprétation du KCanG, en confirmant que les droits liés à la légalisation ne s’arrêtent pas aux portes des prisons. Elle rappelle également qu’une réforme législative fondée sur les droits des usagers doit logiquement s’appliquer à tous, sans discrimination fondée sur la situation carcérale.
Pour le CIRC, ce jugement souligne à quel point la décriminalisation ne peut être qu’un premier pas : il faut aller vers une véritable égalité d’accès au droit au cannabis, y compris dans les situations les plus contraintes comme l’incarcération. Posséder du cannabis n’est plus un crime, même en prison. C’est une réalité juridique qui doit résonner dans les débats français.
À méditer pour la France ?
Alors qu’en Allemagne la justice prend acte des nouvelles réalités sociales et législatives liées au cannabis, la France campe encore sur des interdits d’un autre âge. Et pourtant : les principes d’égalité devant la loi, de proportionnalité des peines et de respect de la dignité humaine devraient eux aussi s’appliquer aux personnes détenues. Si l’Allemagne reconnaît qu’un détenu peut avoir droit à du cannabis en cellule, pourquoi pas nous ?
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